texte de Jean-Christophe Ribeyre

Je suis du silence

de ceux-là

qui traversent nos vies

sans laisser de traces,

de ceux qu’on a secourus,

alignés, comptés, accusés,

à qui l’on a donné

des vêtements chauds,

de l’espoir,

une tente dans la boue,

j’ai dans le sang leur nuit,

les frontières,

le racket, la torture, le viol

en attendant de passer,

je suis de même rive,

de même errance,

de même humiliation,

de même boue

que ceux qu’on insulte

et qu’on trie,

nous sommes de même voix,

de même amertume,

de même saccage,

leurs barreaux sont les miens,

leurs barbelés,

leurs corps maigres,

leur soif est ma soif,

 

je suis inlassablement

l’étranger

roué de coups à Calais,

qu’on a soigné,

remis sur pied

et qu’on raccompagne aux frontières,

je suis le corps

de ceux qu’on repêche,

dont l’image nous émeut

et qu’on enterre à la hâte,

je suis leur visage,

leur fatigue,

leur peur,

inexorablement,

et je porte leur nom.

  

Jean-Christophe Ribeyre

 (poème extrait de Déboutés)