A la croisée de l’intime et de l’universel, ses poèmes parlent surtout de la vie intérieure, celle de l’âme, vive, indépendante, de l’esprit – sain ou pas -, et du cœur, incorrigible.
De ses aspirations, de sa sensibilité au monde. Un monde tantôt tout pétri encore de nature tantôt urbain. De sa sensibilité à l’Autre.
De l’Autre, elle tâche de saisir l’instant et un peu de ce qui lui échappe.

L’écriture est plutôt suggestive et épurée, mais pas systématiquement.
Elle ne recherche ni le discours ni la rime régulière mais le fond et ses images, son énergie, son rythme.
Une écriture, en somme, pour être vivant (un peu plus) et passer (un peu moins) à côté de la vie (quoique ?).
Une parole avec les moyens du bord, pour répondre à l’urgence quotidienne. D’une vie en soi qui l’emporte sur toute forme de compression du personnel.
Dans ses nouvelles, on retrouve des gens, en particulier, dits « ordinaires ». On les découvre dans la rencontre ou dans l’épreuve, où surgissent les ressources (ou pas), inespérées et généreuses, un peu comme la poésie.
Aux détresses sans réponse, la riposte du cœur vaillant bien décidé à ne pas se laisser faire, tant bien que mal. Et de puiser dans l’abondance des beautés de traverse …
Née à Lyon en 1970, Carole Dailly vit à Saint-Etienne, elle est l’auteure de poèmes et de nouvelles. Exerçant un métier alimentaire à temps partiel, elle consacre tout ce qu’il en reste à l’écriture, entre autres.
Bibliographie :
-« Les avions de papier », textes et nouvelles urbaines, éditions Gros Textes, 2025
-« Le geste de la douceur », recueil de poèmes, éditions Gros Textes, 2021
-La ronde des haïkus « Le trèfle à cinq feuilles », éditions Abribus, recueil collectif 2021
-La ronde des haïkus « Guetter l’hirondelle », éditions Abribus, recueil collectif 2020
-« A hauteur de l’ange« , éditions Le Réalgar, 2017, prix Charles Péguy de la SPF (Société des poètes français)
– « Entre chien et loup », livre d’artistes avec Violetta Compain, exemplaire unique à la Médiathèque de la Ricamarie, 2017
– « Les heures traversés », livre-portfolio avec aquarelles de l’auteure, exemplaire unique à la Médiathèque de la Ricamarie, 2017, ensemble reproduis par Ecrissure n°5 ,2022.
-« Toute affaire cessante« , éditions Marie-Louise Cartel, 2016, micro tirage épuisé.
-« Brute, pas pure« , poèmes éditions Le Réalgar, 2015
-« Le poids de la brindille« , nouvelles et récits, éditions Chemin de Traverse 2014
-« Héritage des silences« , poèmes (éditions Manoirante 2010, réédition en 2015 par Le Réalgar), lauréat des prix de poésie francophone Amélie Murat de la ville de Clermont-Ferrand
et du prix J-M Heredia de la Société des poètes français 2012.
-Depuis 2007, parution régulière de textes en revues, dont Verso.
Textes de Carole Daily :
Et maintenant
Dans le silence premier
Quelques oiseaux et l’océan du tout
Doucement puis l’instant de clarté
Le regard, l’accueil
L’éveil, l’écoute
Une vague plus qu’une autre
Il sait, l’océan
Et elle, évidemment elle sait
Apprends-moi
Parle-moi
Dis-moi
Des mots territoires de lumière
*
Une pluie d’été
À perte de vue, des arbres
Temps miraculé
*
Que sais-je de l’amour, moi l’ardente amoureuse ?
Oui, que savons-nous, nous autres qui tous aimons ?
S’il est une science, elle sera précieuse
Et fervente source pour nos âmes à foison
Frontière de terre promise enfin franchie,
Une vie de partage aux portes d’infini,
Quand la passion emporte mais devient lumière,
Volcanique mais sage et profonde et première
Et tout près, au plus près de la peau parfumée
D’éternité, trouver la paix et retrouver,
La joie de l’instant sertie tant de tendres rires
Une vie solidaire en temps irrésolu,
Et goûter, comme on écoute attentivement
Une phrase apaisant pour toujours le présent
C’est ainsi de la vie même éprise et comblée
*
« Déprogramme-moi », chanson
La nuit est tombée,
S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve,
Irais-je ?
Dans les voitures aux feux rouges,
Les mains tapotent sur le volant
Le rythme de leurs jours, de leurs nuits,
Ou bien est-ce
Le rythme de l’instant ?
S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve
S’il n’y avait la musique,
Et s’il n’y avait l’urgence,
Ou bien un truc en plus
Ou bien peut-être en moins
Déprogramme –moi,
Opère, opère
Déprogramme –moi,
J’ai le cœur entier
A ciel ouvert
Déprogramme –moi,
La nuit est tombée,
Les lumières aux fenêtres
Brillent sur le fleuve,
S’il n’y avait leur éclat,
Et puis celui des rêves,
Ou bien un truc en plus
Ou bien peut-être en moins
La nuit est tombée,
Une mendiante s’est tue
Ne nous regarde plus,
Juste le nez à la lune
Reflets dans sa sébile
Que ses mains bercent
Comme ça et la lune dedans va
De gauche et puis de droite,
Et puis plus que les rêves, l’espoir
Ou bien un truc en plus
Ou bien peut-être en moins
Opère, opère,
Déprogramme-moi,
La nuit est tombée,
C’est l’instant du choix,
Si tu ne m’opérais
De gauche ou bien de droite,
D’un truc en plus
Ou peut-être en moins,
Irais-je
Irais-je … où?
La nuit est tombée,
Une mendiante s’est tue
Ne nous regarde plus,
Et toujours devant
La lune au loin file
A l’horizon se déploient
Les élans du désir
Les ombres des nuits blanches
L’empreinte des sourires
Les traces aveugles de l’espérance
Déprogramme –moi,
Opère, opère
Déprogramme –moi,
J’ai le cœur entier
A ciel ouvert
Déprogramme –moi,
La nuit est tombée,
Les lumières aux fenêtres
Brillent sur le fleuve,
S’il n’y avait leur éclat,
Ou bien un truc en plus
Ou bien peut-être en moins
La nuit est tombée,
S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve,
Irais-je ?
La nuit est pleine
Étoiles urbaines,
Elle offre son silence
Son espace précieux
Sa secrète présence,
La mendiante s’est tue
Elle contemple les reflets
Et puis ses yeux se ferment
*
1
Comètes vous êtes,
Comète je suis
Nos trajectoires parfois se croisent
Tracent un jeu de lumières
Un dessin qui danse,
L’aura d’une rencontre,
Un instant suspendu
2
Brumes
Fantômes d’enfance
Brume blanche relevée comme un voile
Le bruissement de la forêt au matin
Comme des faons, des enfances passent
Dans leur sillage, le souvenir du premier mot
Pleine lueur
Aveugle un instant et puis le partage des larmes
La nuit et ses étoiles, sa livrée d’infini, de profondeur,
Les étoiles, des fleurs sauvages pour la Mère !
-Mère-Nature-
Des douces et multiples,
Des éclats féeriques,
Et plus loin dans les galaxies
Des effusions d’embruns aux peintures du large
De l’espace, de l’amour,
Et tous qui deviennent
Le vent léger dans le dos
Extrait de à hauteur de l’ange, éditions le Réalgar, 2017 (prix Péguy 2018)
1
Des nuits dépouillées
Des candeurs défaites
Des rêves incertains
Elancées abstraites
Musique fugitive
Dans mon âme souffle
Un geste se déroule
Oiseau esquissé
Une danse passe
Le chant se répercute
Nuit dépouillée
2
Visages sans nombre
Vous revenez parfois
Vous presser aux remparts du mutisme
Vos yeux bruissants,
Saisis, frôlés
Cortège silencieux
Amours avortés
Vos bouches effacées
Vos lèvres dépossédées
Cortège silencieux
Vos yeux tournés vers moi
Vous revenez parfois
Vos yeux levés vers moi
Bruissants
Vos sourcils joints, enchaînés
Vos regards à eux seuls toute votre histoire
Extrait de héritage des silences, Lauréat des prix Amelie Murat 2012 et J-M de Heredia de la Société des Poètes Français 2012, éditions Manoirante 2010, réédition 2015 par les éditions le Réalgar.
1
Me souviens d’une terre brûlée
Les pulsations du désir
Me souviens d’une terre brûlée
Odorante, généreuse, puissante,
Enfants intenses, avides, intacts
Terre intense
Me souviens
Les pulsations battantes du désir
Joueur
Délivré
Heureux
Triomphant
Terre ardente feu de joie les nuits étincelantes
Tout ce qu’il y avait
Tout ce qui durait
Tout ce qui était
Enfants intenses, avides, intacts
La pulsation
Partout l’âme, le corps, la force d’être,
L’éternité vibrante, le rire, la voix
Me souviens d’une terre brûlée
2
It*
J’avais de quoi vous aimer.
Je l’avais, je vous dis.
Je l’avais et je vous le donnais, aussi prodigue qu’il m’avait été conféré
Il avait la fraîcheur de l’eau d’air et de roche
Leur force et leur douceur,
Il en avait la profondeur présente toujours, et toujours arcane,
Et son murmure aussi il l’avait, celui, rieur,
De la légèreté qui porte les pollens et le froufrou des libellules,
Les reflets et la lumière à la surface de la belle
Je l’avais, je vous dis
Et il me portait. Moi aussi il me portait ! Comme le vent les pollens, c’est ça !
Je crois bien qu’il m’avait fait pour, même
Peut-être pas que,
Mais
Mais si, je crois.
Je vous le donnais. Quoi d’autre ? ! C’était joie
C’était espace et le proche aussi
Le plus proche qui soit,
J’ignorais encore que l’offrande pourrait être silence.
Pas celui qui accueille et recueille, non : le silence de l’absence.
Absence de vous.
L’has never been.
Il était là, il était venu pour nous, tout partout, il suffisait d’ouvrir pour qu’il entre
Mais il n’a pas été vu. Pas vu, pas pris.
Alors est apparu un autre silence, quelque chose comme l’arrêt brusque du vent
Et je suis tombé
Je vais tomber encore – car je sais maintenant, maintenant que je sais –
Quoi d’autre ? ! Qu’importe ! Pomme que je suis, comme bonne pomme on dit sans savoir si bien dire
Oui, bonne pomme, cerise, noix, citron, poire !
Ce qui est porté tombe et donne, tombe même sans personne pour recueillir
Je l‘avais je vous dis,
Autant dire : Il m’a
Et c’est tout sauf l’aliénation
*Dans « Sur la route », Jack Kerouac désigne ainsi le meilleur des improvisations de musiciens écoutés dans un club de jazz .
C’est l’instant de grâce, la capacité au meilleur de sa sensibilité, à sa plus belle et vraie pulsation de vie, à son déploiement musical dans le don d’elle-même, porté par une énergie de transcendance harmonieuse et intense.
« …et alors il se hausse jusqu’à son destin et c’est à ce niveau qu’il doit souffler. Tout à coup, il part au milieu du chorus, il ferre le it; tout le monde sursaute et comprend; on écoute; il le repique et s’en empare. Le temps s’arrête. Il remplit le vide de l’espace avec la substance de nos vies, avec des confessions jaillies de son ventre tendu, des pensées qui lui reviennent, et des resucées de ce qu’il a soufflé jadis. Il faut qu’il souffle à travers les clés, allant et revenant, explorant de toute âme avec tant d’infinie sensibilité la mélodie que chacun sait que ce n’est pas la mélodie qui compte mais le it en question … »
Extrait de brute, pas pure, 2015, éditions le Réalgar.