Carole Dailly

A la croisée de l’intime et de l’universel, ses poèmes parlent surtout de la vie intérieure, celle de l’âme, vive, indépendante, de l’esprit – sain ou pas -, et du cœur, incorrigible.

De ses aspirations, de sa sensibilité au monde. Un monde tantôt tout pétri encore de nature tantôt urbain. De sa sensibilité à l’Autre.

De l’Autre, elle tâche de saisir l’instant et un peu de ce qui lui échappe.

Carole Dailly

L’écriture est plutôt suggestive et épurée, mais pas systématiquement.

Elle ne recherche ni le discours ni la rime régulière mais le fond et ses images, son énergie, son rythme.

Une écriture, en somme, pour être vivant (un peu plus) et passer (un peu moins) à côté de la vie (quoique ?).

Une parole avec les moyens du bord, pour répondre à l’urgence quotidienne. D’une vie en soi qui l’emporte sur toute forme de compression du personnel.

Dans ses nouvelles, on retrouve des gens, en particulier, dits « ordinaires ». On les découvre dans la rencontre ou dans l’épreuve, où surgissent les ressources (ou pas), inespérées et généreuses, un peu comme la poésie.

Aux détresses sans réponse, la riposte du cœur vaillant bien décidé à ne pas se laisser faire, tant bien que mal. Et de puiser dans l’abondance des beautés de traverse …

Née à Lyon en 1970, Carole Dailly vit à Saint-Etienne, elle est l’auteure de poèmes et de nouvelles. Exerçant un métier alimentaire à temps partiel, elle consacre tout ce qu’il en reste à l’écriture, entre autres.

Bibliographie :

-« Les avions de papier », textes et nouvelles urbaines, éditions Gros Textes, 2025

-« Le geste de la douceur », recueil de poèmes, éditions Gros Textes, 2021

-La ronde des haïkus « Le trèfle à cinq feuilles », éditions Abribus, recueil collectif 2021

-La ronde des haïkus « Guetter l’hirondelle », éditions Abribus, recueil collectif 2020

-« A hauteur de l’ange« , éditions Le Réalgar, 2017, prix Charles Péguy de la SPF (Société des poètes français)

– « Entre chien et loup », livre d’artistes avec Violetta Compain, exemplaire unique à la Médiathèque de la Ricamarie, 2017

– « Les heures traversés », livre-portfolio avec aquarelles de l’auteure, exemplaire unique à la Médiathèque de la Ricamarie, 2017, ensemble reproduis par Ecrissure n°5 ,2022.

-« Toute affaire cessante« , éditions Marie-Louise Cartel, 2016, micro tirage épuisé.

-« Brute, pas pure« , poèmes éditions Le Réalgar, 2015

-« Le poids de la brindille« , nouvelles et récits, éditions Chemin de Traverse 2014

-« Héritage des silences« , poèmes (éditions Manoirante 2010, réédition en 2015 par Le Réalgar), lauréat des prix de poésie francophone Amélie Murat de la ville de Clermont-Ferrand

et du prix J-M Heredia de la Société des poètes français 2012.

-Depuis 2007, parution régulière de textes en revues, dont Verso.

Textes de Carole Daily :

Et maintenant

Dans le silence premier

Quelques oiseaux et l’océan du tout

Doucement puis l’instant de clarté

Le regard, l’accueil

L’éveil, l’écoute

Une vague plus qu’une autre

Il sait, l’océan

Et elle, évidemment elle sait

Apprends-moi

Parle-moi

Dis-moi

Des mots territoires de lumière

*

Une pluie d’été

À perte de vue, des arbres

Temps miraculé

*

Que sais-je de l’amour, moi l’ardente amoureuse ?

Oui, que savons-nous, nous autres qui tous aimons ?

S’il est une science, elle sera précieuse

Et fervente source pour nos âmes à foison

Frontière de terre promise enfin franchie,

Une vie de partage aux portes d’infini,

Quand la passion emporte mais devient lumière,

Volcanique mais sage et profonde et première

Et tout près, au plus près de la peau parfumée

D’éternité, trouver la paix et retrouver,

La joie de l’instant sertie tant de tendres rires

Une vie solidaire en temps irrésolu,

Et goûter, comme on écoute attentivement

Une phrase apaisant pour toujours le présent

C’est ainsi de la vie même éprise et comblée

*

« Déprogramme-moi », chanson

La nuit est tombée,

S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve,

Irais-je ?

Dans les voitures aux feux rouges,

Les mains tapotent sur le volant

Le rythme de leurs jours, de leurs nuits,

Ou bien est-ce

Le rythme de l’instant ?

S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve

S’il n’y avait la musique,

Et s’il n’y avait l’urgence,

Ou bien un truc en plus

Ou bien peut-être en moins

Déprogramme –moi,

Opère, opère

Déprogramme –moi,

J’ai le cœur entier

A ciel ouvert

Déprogramme –moi,

La nuit est tombée,

Les lumières aux fenêtres

Brillent sur le fleuve,

S’il n’y avait leur éclat,

Et puis celui des rêves,

Ou bien un truc en plus

Ou bien peut-être en moins

La nuit est tombée,

Une mendiante s’est tue

Ne nous regarde plus,

Juste le nez à la lune

Reflets dans sa sébile

Que ses mains bercent

Comme ça et la lune dedans va

De gauche et puis de droite,

Et puis plus que les rêves, l’espoir

Ou bien un truc en plus

Ou bien peut-être en moins

Opère, opère,

Déprogramme-moi,

La nuit est tombée,

C’est l’instant du choix,

Si tu ne m’opérais

De gauche ou bien de droite,

D’un truc en plus

Ou peut-être en moins,

Irais-je

Irais-je … où?

La nuit est tombée,

Une mendiante s’est tue

Ne nous regarde plus,

Et toujours devant

La lune au loin file

A l’horizon se déploient

Les élans du désir

Les ombres des nuits blanches

L’empreinte des sourires

Les traces aveugles de l’espérance

Déprogramme –moi,

Opère, opère

Déprogramme –moi,

J’ai le cœur entier

A ciel ouvert

Déprogramme –moi,

 

La nuit est tombée,

Les lumières aux fenêtres

Brillent sur le fleuve,

S’il n’y avait leur éclat,

Ou bien un truc en plus

Ou bien peut-être en moins

La nuit est tombée,

S’il n’y avait ces lumières sur le fleuve,

Irais-je ?

La nuit est pleine

Étoiles urbaines,

Elle offre son silence

Son espace précieux

Sa secrète présence,

La mendiante s’est tue

Elle contemple les reflets

Et puis ses yeux se ferment

*

1

Comètes vous êtes,

Comète je suis

Nos trajectoires parfois se croisent

Tracent un jeu de lumières

Un dessin qui danse,

L’aura d’une rencontre,

Un instant suspendu

2

Brumes

Fantômes d’enfance

Brume blanche relevée comme un voile

Le bruissement de la forêt au matin

Comme des faons, des enfances passent

Dans leur sillage, le souvenir du premier mot

Pleine lueur

Aveugle un instant et puis le partage des larmes

La nuit et ses étoiles, sa livrée d’infini, de profondeur,

Les étoiles, des fleurs sauvages pour la Mère !

-Mère-Nature-

Des douces et multiples,

Des éclats féeriques,

Et plus loin dans les galaxies

Des effusions d’embruns aux peintures du large

De l’espace, de l’amour,

Et tous qui deviennent

Le vent léger dans le dos

Extrait de à hauteur de l’ange, éditions le Réalgar, 2017 (prix Péguy 2018)

1

Des nuits dépouillées

Des candeurs défaites

Des rêves incertains

Elancées abstraites

Musique fugitive

Dans mon âme souffle

Un geste se déroule

Oiseau esquissé

Une danse passe

Le chant se répercute

Nuit dépouillée

2

Visages sans nombre

Vous revenez parfois

Vous presser aux remparts du mutisme

Vos yeux bruissants,

Saisis, frôlés

Cortège silencieux

Amours avortés

Vos bouches effacées

Vos lèvres dépossédées

Cortège silencieux

Vos yeux tournés vers moi

Vous revenez parfois

Vos yeux levés vers moi

Bruissants

Vos sourcils joints, enchaînés

Vos regards à eux seuls toute votre histoire

Extrait de héritage des silences, Lauréat des prix Amelie Murat 2012 et J-M de Heredia de la Société des Poètes Français 2012, éditions Manoirante 2010, réédition 2015 par les éditions le Réalgar.

1

Me souviens d’une terre brûlée
Les pulsations du désir

Me souviens d’une terre brûlée

Odorante, généreuse, puissante,

Enfants intenses, avides, intacts

Terre intense

Me souviens

Les pulsations battantes du désir

Joueur

Délivré

Heureux

Triomphant

Terre ardente        feu de joie   les nuits étincelantes

Tout ce qu’il y avait

Tout ce qui durait

Tout ce qui était

Enfants intenses, avides, intacts

La pulsation

Partout l’âme, le corps, la force d’être,

L’éternité vibrante, le rire, la voix

Me souviens d’une terre brûlée

 2

It*

J’avais de quoi vous aimer.

Je l’avais, je vous dis.

Je l’avais et je vous le donnais, aussi prodigue qu’il m’avait été conféré
Il avait la fraîcheur de l’eau d’air et de roche

Leur force et leur douceur,
Il en avait la profondeur présente toujours, et toujours arcane,

Et son murmure aussi il l’avait, celui, rieur,
De la légèreté qui porte les pollens et le froufrou des libellules,

Les reflets et la lumière à la surface de la belle

Je l’avais, je vous dis
Et il me portait. Moi aussi il me portait ! Comme le vent les pollens, c’est ça !

Je crois bien qu’il m’avait fait pour, même
Peut-être pas que,

Mais

Mais si, je crois.

 Je vous le donnais. Quoi d’autre ? ! C’était joie

C’était espace et le proche aussi
Le plus proche qui soit,

J’ignorais encore que l’offrande pourrait être silence.

Pas celui qui accueille et recueille, non : le silence de l’absence.

Absence de vous.
L’has never been.
Il était là, il était venu pour nous, tout partout, il suffisait d’ouvrir pour qu’il entre
Mais il n’a pas été vu. Pas vu, pas pris.

Alors est apparu un autre silence, quelque chose comme l’arrêt brusque du vent

Et je suis tombé

Je vais tomber encore – car je sais maintenant, maintenant que je sais –
Quoi d’autre ? ! Qu’importe ! Pomme que je suis, comme bonne pomme on dit sans savoir si bien dire

Oui, bonne pomme, cerise, noix, citron, poire !

Ce qui est porté tombe et donne, tombe même sans personne pour recueillir

Je l‘avais je vous dis,

Autant dire : Il m’a

Et c’est tout sauf l’aliénation

*Dans « Sur la route », Jack Kerouac désigne ainsi le meilleur des improvisations de musiciens écoutés dans un club de jazz .

C’est l’instant de grâce, la capacité au meilleur de sa sensibilité, à sa plus belle et vraie pulsation de vie, à son déploiement musical dans le don d’elle-même, porté par une énergie de transcendance harmonieuse et intense.

« …et alors il se hausse jusqu’à son destin et c’est à ce niveau qu’il doit souffler. Tout à coup, il part au milieu du chorus, il ferre le it; tout le monde sursaute et comprend; on écoute; il le repique et s’en empare. Le temps s’arrête. Il remplit le vide de l’espace avec la substance de nos vies, avec des confessions jaillies de son ventre tendu, des pensées qui lui reviennent, et des resucées de ce qu’il a soufflé jadis. Il faut qu’il souffle à travers les clés, allant et revenant, explorant de toute âme avec tant d’infinie sensibilité la mélodie que chacun sait que ce n’est pas la mélodie qui compte mais le it en question … »

Extrait de brute, pas pure, 2015, éditions le Réalgar.