Présentation de Geneviève Vidal

Jacques Imbert/Fondations

                                               « Ce même rocher

                                             le faire naître

                                               Encore

                                             Dit-il. »

                                                    Jacques Imbert  1

Avant-propos

Ayant eu la chance de connaître Jacques Imbert et de participer à l’aventure de Poésie-Rencontres, je me propose de centrer ma présentation sur les années 79-84. En effet ces cinq années furent riches à deux points de vue, Poésie-Rencontres donc, ainsi que les trois premières publications de Jacques Imbert, dans cette même tranche de temps.

J’intitule mon article « Fondations », je pourrais aussi bien dire « Genèse », sans craindre les connotations mythiques, car Jacques Imbert était tout à la fois homme de silence et de symbole, poète de la maîtrise et du brasier des affects ; il savait équilibrer construction et fragmentation.

Souvent, nous l’entendions citer Alain Bosquet :

                                   « Toute origine est déchirure

                                    et chaque lieu métamorphose »

A l’image de l’aigle, Jacques Imbert aimait prendre de l’altitude ; comme le phénix, il renaissait de ses cendres.

Je fis la connaissance de Jacques en 1979 ; enseignants l’un et l’autre à l’École Normale d’Instituteurs de Lyon, lui en Français, moi-même en Psychopédagogie. Nous pratiquions l’interdisciplinarité, ainsi j’assistai à son cours sur la poésie du 20ème siècle, et ce fut le début  de ma découverte d’auteurs de notre époque, Eugène Guillevic, André Frénaud, Jean Follain, entre autres, qui renouvelaient le texte poétique. Je lus à cette occasion La poésie comme un langage, de Jacques Imbert et Pierre Ceysson, qui donne les clefs de ce nouveau champ langagier, avec, en plus des trois que je viens de nommer, la référence à de nombreux poètes, Yannis Ritsos, Nazim Hikmet, Andrée Chédid, Pablo Neruda, et tant d’autres. Formée à une littérature plus classique, cette immersion dans des écritures contemporaines fut pour moi une révélation.

Première pierre de Poésie-Rencontres

Année 1979, l’association Poésie-Rencontres voit le jour et sa formation mérite d’être exposée. Jacques Imbert enthousiasme un groupe d’instituteurs en « recyclage » (c-d formation permanente) qui découvrent avec jubilation les richesses inventives des poètes du 20ème siècle. Et ce sont eux, les instituteurs, qui demandent à Jacques de déborder leur temps de formation pour mettre en route une véritable aventure collective, et bien sûr j’y suis embarquée. Ainsi, pose de la première pierre de Poésie-Rencontres

Jacques Imbert, nommé président, est entouré par deux autres fondateurs, Pierre Piovésan, directeur d’école à Saint-Symphorien d’Ozon, Pierre Ceysson, professeur de Français à l’École Normale de Lyon ; une sorte de triumvirat donc.

Beaucoup d’enseignants rejoignent l’association ; leur engagement professionnel, -je pense notamment à Pierre et Suzanne Perrin- les met de plain-pied avec l’activité poétique ; il en va à la fois des enjeux de l’enseignement et de ceux du langage poétique. Pas seulement formater les jeunes pour les adapter aux exigences de la vie adulte, mais leur rendre nécessaire le sel de la poésie. Celle-ci ouvre une voie royale à la liberté de penser et de créer. Une forme d’utopie anime le groupe, qui se reconnaît dans Les armes miraculeuses de la poésie proclamées par Aimé Césaire.

Formateur de haut niveau, poète lui-même, Jacques Imbert diffuse les auteurs de l’association  Poésie-Rencontres, prolonge son activité pédagogique tout en promouvant des valeurs citoyennes, la fraternité, le débat démocratique, le lien entre théorie et pratique. De par son écriture poétique, Jacques Imbert se trouve de plain-pied dans la dynamique de Poésie-Rencontres, il lui donne le meilleur.

Tout le devenir de Poésie-Rencontres se trouve dans cette première pierre. La personnalité et les engagements de Jacques Imbert diffusent tant dans le bouillonnement de l’association que dans sa propre création poétique. D’une part la revue, Les Cahiers de Poésie-Rencontres, d’autre part ses publications en tant qu’auteur à part entière : en 1979 La poésie comme un langage (co-écrit avec Pierre Ceysson), puis Les abords du temps (1980), Lagune (1984).Ainsi Jacques Imbert déploie-t-il des aspects complémentaires de sa personne : le goût pour le travail d’équipe et la convivialité d’une part, le retrait et le labeur minutieux du poète d’autre part. Fondateur, oui vraiment.

Charte de Poésie-Rencontres

J’ai en main le premier Cahiers de Poésie-Rencontres, historique (octobre 1979), il rend compte de la naissance de l’association lors des rencontres de Chomérac. On peut y lire, entre autre, des inédits de Pierre Emmanuel, Eugène Guillevic, Jacques Imbert, Paul Vincensini.

 Nous pouvons découvrir dans ce premier numéro la charte concoctée par Pierre Ceysson et Jacques Imbert lors des Journées poétiques de Chomérac (avril 1979) : « A l’issue de ce moment, il y a une association dont l’ambition se veut locale et régionale, et qui a pour objectif de faciliter aussi souvent que possible la rencontre entre les poètes et tous ceux, poètes ou non, qui s’intéressent à la poésie.

Qui a pour objectif aussi de susciter des rapprochements entre la poésie et les autres formes d’expression.

Qui a pour objectif enfin de publier après chaque rencontre des cahiers contenant le texte des interventions, des poèmes inédits, des dessins et des commentaires. » 2

Dans leur simplicité, les objectifs énoncés sont porteurs d’un riche programme, ils affirment le caractère ni académique ni élitiste du projet. La suite en montrera le bien-fondé.

Faire ensemble

Je me souviens d’une véritable ruche d’où fusent les idées et initiatives, d’un atelier qui fabrique de manière totalement artisanale les numéros des Cahiers de Poésie-Rencontres. Les trois pères fondateurs se trouvent au centre d’un tourbillon d’idées et d’initiatives ; leurs personnalités et qualités complémentaires font merveille

A ce propos, les réunions se passent souvent chez Jacques et France Imbert, dans leur accueillante maison de Solaize. Une chaude ambiance, un chaudron où cuisaient moult ingrédients. Mais il faut canaliser et structurer ce débordement. Peu à peu prennent forme les idéaux de notre association et sa singularité ; conformément à la charte, inviter les poètes à lire leurs textes, puis les interroger, enfin leur demander des inédits ; tout ceci est transcrit, imprimé, publié ;  vous avez le processus de fabrication des Cahiers de Poésie-Rencontres. Nous sommes encore à l’ère de Gutenberg, tout se fait manuellement.

Jacques Imbert est le maître d’œuvre, l’initiateur, tel l’aigle, il voit loin. Il attire autour de lui des jeunes, je pense à Jacqueline Merville, Marc Porcu, Manuel Van Thienen, et des poètes de renom tels François Montmaneix, Annie Salager. Il sait s’entourer et répartir les tâches. Nous avons l’honneur d’être parrainés par Eugène Guillevic.

Jacques Imbert, fondateur et rassembleur.

Les rencontres avec les poètes

Comme dit ci-dessus, les rencontres avec les poètes constituent le pilier de l’activité de Poésie-Rencontres (d’où ce « patronyme »). Ainsi la poésie n’est plus seulement livresque, elle s’incarne dans des personnes. Sur ce point, les qualités d’accueil et d’écoute de Jacques Imbert font merveille. Le couple de Jacques et France Imbert reçoit souvent les auteurs dans sa maison de Solaize ; les relations humaines qui se tissent ont des répercussions inappréciables sur les activités de Poésie-Rencontres, tant les rencontres que les Cahiers. Plus généralement, la convivialité est une des images de marque de Poésie-Rencontres souvent arrosée d’excellents crus.

Je me contente d’évoquer quelques-uns de ces auteurs lorsque Jacques était président : Eugène Guillevic, Pierre Emmanuel, Andrée Chédid, Jean Orizet, Dominique Renard, Charles Juliet, Jean Breton, André Doms, Bernard Noël, Béatrice de Jurquet, Tahar Ben Jelloun, Franck Venaille, et tant d’autres …

Précisons qu’au début des années 80, les lectures poétiques sont assez rares, sur ce point, notre association est en avance.

Ces rencontres nous cimentent, avides que nous sommes d’écouter la parole vivante de poètes vivants, une poésie dépoussiérée, plurielle, qui nous touche au cœur.

J’entends encore la voix rauque et malicieuse d’Eugène Guillevic : «  Je suis présent / Et je me permets de vivre / On m’avale/ Et je deviens corps » 3La voix douce et ferme d’Andrée Chédid : « La poésie fait partie de notre être, de nos viscères, de tout ce qui se meut en nous »  4

Nous sommes suspendus au texte, mais aussi au souffle du poète, à sa manière d’être, à sa voix ; au-delà des mots les poèmes transmettent un tempérament, une vision du monde ; c’est cela qui est passionnant.

Créativité tous azimuts

Comme déjà évoqué, un groupe nombreux et animé entoure Jacques Imbert, Pierre Piovésan et Pierre Ceysson,une sorte de «  tribu prophétique aux prunelles ardentes », tel les Bohémiens  en voyage de Baudelaire. L’association forme un vivier propice aux innovations et aux débats : – Que peut la poésie ? – Y a-t-il une écriture féminine ? – Comment rendre la poésie accessible à tous ? – Comment concilier imaginaire et rigueur formelle ? Ces questions donnent lieu à des discussions enflammées, très nourrissantes, nous formons une sorte d’Agora ; parlons d’unité dans la diversité. De jeunes voix tracent leur sillon, Marc Porcu explore la violence sociale et la poésie sarde ; Manuel Van Thienen, la poésie amérindienne ; Jacqueline Merville la banlieue et les défis rencontrés par les femmes

D’ailleurs, ces trois auteurs forment une troupe de théâtre, ils créent et interprètent  Va dire à la ville.

Chaque printemps, lors d’un long week-end ont lieu les Rencontres de Rajat, avec lectures, ateliers, danse, concerts ; des sommets d’intensité. Impossible d’oublier les rencontres avec Bernard Noël, Luc Bérimont, Jean-Louis Depierris, et tant d’autres. Trois jours de partages et de découvertes dans le parc magnifique de Rajat.

Outre Les Cahiers de Poésie-Rencontres, s’impose l’idée d’une petite maison d’édition pour les poètes de l’association. J’ai la chance d’être la première publiée, en 1983, avec Territoire de l’éveil, suivra une longue liste, Il était souvent de Jacqueline Merville, Mémoires de l’exil de Marc Porcu, Brume 47 de Pierre Ceysson, notamment, et plus tard La lune ses divisions de Mohammed El Amraoui, et tant d’autres.

Notons que ces premières publications sont souvent le point de départ pour une carrière littéraire de ces jeunes auteurs. Puis viendra la collection Le Portefaix, de présentation plus modeste, mais avec des textes de qualité, je pense à Rendu au jour de Joël Vernet.

La mise en réseau

Les connexions s’établissent aisément avec d’autres structures vouées à la diffusion de la poésie. Excusez l’énumération : Maison de la Poésie-Rhône-Alpes de Grenoble, Cave littéraire de Villefontaine, Pandora de Vénissieux, Maison de la poésie d’Amay en Belgique, revues Laudes, Verso, Compact à Lyon, et tout ce que j’oublie.

Naturellement, nous avons un stand place Saint-Sulpice au marché de la poésie un week-end chaque mois de juin, haut lieu de rencontres à l’échelle du pays avec des représentations belge (Werner Lambersy) et québécoise (Claudine Bertrand). Sans oublier le marché de la poésie de Rodez, haut en couleur.

Naturellement nombre de poètes invités restent en contact avec nous et se font le relais avec des auteurs et éditeurs de leur connaissance ; André Doms, par exemple, membre actif de la Maison de la poésie d’Amay, laquelle a une maison d’édition, L’arbre à paroles qui publie nombre d’entre nous, dont je fais partie avec Marc Porcu. La Maison de la poésie d’Amay organise des lectures dans ses murs, ouverte aux poètes francophones ; d’où moult liens d’amitié, et un effet boule de neige qui contribue au dynamisme de Poésie-Rencontres.

A Lyon, les universitaires lyonnais Jean-Yves Debreuille et Claude Burgelin nous apportent à l’occasion le concours de leur haute culture.

Les plasticiens

Féru d’arts plastiques, Jacques Imbert fait dès le début appel aux plasticiens. « Ut pictura poesis » « La poésie est comme la peinture » écrivait Horace. La fine fleur des peintres lyonnais coopère avec nous, Walter, Gérard Mathie, Anne Guerrant-Ropars et Jacqueline Merville (également poètes et membres de Poésie-Rencontres ), Fanny Batt, le Drômois Jacques Pouchain, Horacio lo Greco (Argentin d’origine), Salvatore Gurrieri, René Jarros, le plasticien Marc Pessin (Saint-Laurent-du-Pont), Marc Aurelle, l’Espagnole Lopez Lara, et … beaucoup d’autres. Bien entendu, chaque n° de notre revue est illustré par un plasticien.

Par ailleurs, coopération bilatérale, un poème-un tableau, ou bien expositions. Ainsi, l’an 2000, pour les vingt ans de Poésie-Rencontres, la Mapra expose dix-huit binômes texte-tableau. Voici ce qu’écrit Jacques Imbert en regard du tableau de Marc Aurelle : «  Sensible traversé, constitué par l’œuvre. Que la toile organise. En quoi s’éveille et s’use le souvenir. Temps du réel au réel le passage. » 5

Les premiers ouvrages de Jacques Imbert

Comme je l’ai noté dans l’avant-propos, Jacques Imbert mène de front Poésie-Rencontres et son œuvre poétique.

En 1978, Larousse publie ce petit livre didactique écrit avec Pierre Ceysson La poésie comme un langage. Petit mais dense, cet ouvrage vise à aider les enseignants dans la délicate initiation poétique à leurs classes. En avant-propos : « Écrire un poème, lire un poème sont actes, engagements identiques », lisons-nous. En effet les deux co-auteurs présentent des poèmes et donnent des consignes pour les faire lire et travailler par les classes. Le découpage par grands thèmes facilite l’approche et la compréhension : 1- Poésie-incitation, 2- Poésie et réalité, 3-Figures de la poésie, 4- la poésie se définit. Comme déjà dit dans mon Avant-propos, on trouve des textes d’Eugène Guillevic, André Frénaud, Jean Follain, Yannis Ritsos, Nazim Hikmet, Andrée Chédid, Pablo Neruda, et de tant d’autres. Le lecteur est d’emblée en prise avec la variété et l’audace langagières des poètes du vingtième siècle.

Le pragmatisme des conseils donnés aux enseignants doit probablement à l’expérience de formateur de Jacques Imbert et Pierre Ceysson. On pense à l’injonction de Lautréamont : « La poésie sera faite par tous, non par un. » Mais pour Jacques Imbert et Pierre Ceysson., les médiations sont nécessaires ; ils réfutent autant l’élitisme que le spontanéisme débridé.  

Attachons-nous, maintenant, aux deux recueils publiés par Jacques lors des cinq ans de son mandat de président à Poésie-Rencontres, Les abords du temps et Lagune , étape initiale de son œuvre, qui sera suivie de quatre recueils, entre les années1991 et 2003.

Les abords du temps,éd.Saint-Germain-des-Prés, 1980

Non sans émotion, nous, ses amis de Poésie-Rencontres,  attendons la sortie du premier recueil de Jacques Imbert ; nous avons déjà lu et entendu certains de ses textes, nous en connaissons la sobriété, le lyrisme contenu, le ciselage des vers, les thématiques de l’enfance, du deuil, de la fraternité. Mais le recueil constitue un ensemble, il vaut par sa cohérence, par l’unité de ton et de style, et par les figures qu’il s’autorise.

Le titre, Les abords du temps, résonne d’une certaine étrangeté, comme si le Temps représentait un lieu, une bâtisse, un espace clos, autour duquel le promeneur peut circuler, mais peut-être sans y pénétrer. A ce propos, Jacques Imbert nous rappelle un souvenir d’enfance ; à Dieulefit, sa bourgade natale, une interdiction sur un  écriteau près du Temple protestant : « Les abords du Temple sont interdits » pour écarter les jeux bruyants des enfants. Une sorte de calembour transforme « Temple » en « Temps », est-ce à dire que le Temps nous reste inabordable en raison de sa nature et de ses lois (naissance-vie-mort) ? Et ce vers  aussi :

« Les pleurs inachevés sur les grilles du temple »  6

Nous appropriant les poèmes, nous gardons cette impression un peu énigmatique ;  frappés par l’espace, – les grandes marges-,  laissé libre autour et entre les poèmes, un ensemble aéré qui sollicite une lecture attentive et humble, précise aussi, tout en s’en remettant à l’accueil du lecteur.

Des poèmes courts ordonnés en deux parties  Frère de tumulte  et Chemin de la douceur.  Une parole tout à fait nouvelle, même pour ceux qui connaissent bien Jacques Imbert, sa langue poétique a le pouvoir de dissoudre les apparences, elle ouvre un au-delà qui n’est pas désincarné, qui creuse des fissures dans l’être. Nous touchons à un des ressorts du registre poétique, sa capacité à laisser sourdre les émotions les plus fortes et les plus intimes, à les contenir aussi pour les empêcher de nous détruire. Présence aussi de la nature, lien à l’enfance, à la création, au tragique parfois.

         « Le temps d’abord

           Avec des mots assis

          Comme des chiens de garde »    7

La douceur, ainsi de la dernière strophe du recueil :

           « Recomposer l’écorce

                L’enfance du regard

             Pour atteindre l’envol

             Où le cou se repose »   8

Les abords du temps a la fraîcheur des commencements, jointe à une maîtrise du vers, des images, du rythme ; le tout dans une composition quasi-picturale, une succession de tableaux. Se découvrent à nous des fragments du monde intérieur du poète.

Lagune, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1984, (avec une encre de Jacques Pouchain)

Le recueil compte soixante-douze poèmes, parfois brefs, dédiés à France et Florence ; concision et dépouillement de cette suite, avec parfois des pointes de flamboyance. En exergue un proverbe baoulé : « C’est sur le rocher que tu danses et tu voudrais que la poussière vole. » 

Lors d’un voyage en Côte d’Ivoire, Jacques et sa famille découvrent l’étendue, – 130 km -, de la lagune Ebrié ; longue et mince, séparée de l’océan par un cordon de sable ; imposant plan d’eau saumâtre qui traverse longitudinalement la ville d’Abidjan. Dépaysement, découverte de l’Afrique noire ; des hommes de l’ethnie Tchaman vivent de la pêche autour de la lagune Ebrié. Ces éléments composites, d’une autre culture, renouvellent l’inspiration de Jacques Imbert Les poèmes mêlent les images du peuple de la lagune dans ses activités quotidiennes et les images mentales du poète, fasciné par l’immensité de cette eau dormante. L’opacité de la lagune, sa couleur sombre semblent évoquer une vie sous-jacente, non loin de la mort qui guette. Lagune, qui peut glisser vers « lacune », habite une rêverie de l’inaccessible, voire de l’incompréhensible.

           « Leurs bras

             Enroulent des mots étrangers,

             Des mots qui proclament la fête

             Et saluent l’évidence.

            Refuser le sommeil,

          Intervenir.

          Pour dire l’inaccessible

          De la lagune

          En sa région d’ivresse. »  9

Il me semble que le noyau du recueil tourne autour d’une ambivalence quasi-métaphysique, la lagune se refuse, amenant au vertige …

       « Le rivage a tremblé de rires sacrilèges,

       Hier, ils sont venus de la mer

      Ne laissant que les pierres

       Où reposait la tête. »  10

Jean Orizet propose cette appréciation : « Il s’agit là d’un poème-vision, d’une quête de soi ».

Ainsi se clôt le recueil :

 « Bientôt sur l’autre rive

 Tu te verras,

 Toi qui approches. »  11

Compagnonnage au long cours

Dans cette présentation, je m’en tiens donc aux années 79-84, celles des débuts de Poésie-Rencontres et des premières publications de Jacques Imbert De fait, en 1984, Jacques Imbert transmet la présidence de Poésie-Rencontres à Pierre Ceysson, en effet, Jacques quitte Solaize et laisse son poste de l’École Normale ; détaché au Ministère de la Culture, il rejoint Lille pour y exercer les fonctions de DRAC. Désormais séparé géographiquement des membres de Poésie-Rencontres, il en reste néanmoins proche, fidèle, dans un compagnonnage au long cours.

Simultanément, grâce aux bases solides posées en ses débuts l’association continue à se déployer en rencontres, publications, expositions ; ainsi nous arrivons au  numéro 55 de la revue, le dernier, en 2010. Jacques Imbert quant à lui, poursuit son œuvre de poète.

Postface

Par ces quelques pages, Jacques Imbert nous est apparu fondateur, passeur, organisateur, travailleur inlassable et créateur.

Une pointe de nostalgie bien sûr, mais compensée par l’émerveillement de ce que peut la poésie auprès de personnes soutenues par des mentors de haut niveau, tel fut Jacques Imbert

En guise de conclusion, me vient cette maxime en latin : « Soli Invicto Comiti » »Au soleil invaincu qui m’accompagne ». Et aussi ce clin d’œil de l’ami Guillevic :

    « Nous fêtons

     Ce maintenant qui s’agrandit » 

Notes

  1. Les abords du temps p.13
  2. Les Cahiers de Poésie-Rencontres n°1 p.1
  3. Les Cahiers de Poésie-Rencontres n°8 p. 71
  4. Les Cahiers de Poésie-Rencontres n° 7 p.18
  5. Des peintres et des poètes p.30
  6. Les abords du temps p.52
  7. Ibid. p.15
  8. Ibid. p 60
  9. Lagune p.49
  10. ibid. p.67
  11. ibid. p.72

Geneviève VIDAL

Poèmes de Jacques Imbert, sélection de Geneviève Vidal.

Jacques Imbert, les abords du temps, collection haut langage, éditions Saint Germain des prés, 1980.

Avec ces pierres

Une à une jetées

Sur le gazon de l’eau

Il parviendrait aujourd’hui

Peut-être

À fixer le cercle

Hésitant

De sa propre existence.     p.11

*

Le temps d’abord

Avec des mots assis

Comme des chiens de garde

Avec ces mêmes mots

Pleins à en craquer

Qui explosent parfois

Dans la douleur des yeux.     p.15

*

Se dire

Soi

Dans le férié des jours

Avec au creux des mains

La peur du rituel.     p. 17

*

Ne rien prendre

Qui ne soit offert

Et tout connaître quand même

Des racines.

Terre exacte.

En réponse

La rigueur de la marche

Avec

Pour les miroirs

Inscrits au pied des arbres

L’hommage du silence.    p. 29

*

Au centre de la plage

La place.

L’herbe arrachée a des marques de dents.

Une façade nue

Que trouent des hirondelles

Élabore le temps.

Sur l‘herbe,

Nettes,

Des marques de dents.

Pour avoir remercié le soir de n’avoir rien à dire

Et tapé du pied quand le vent se leva

Le voyageur est condamné.

Ancienne sentence

Dont personne, ici, ne se souvient.      p. 33

*

L’enfant obèse

Trace dans la poussière

Son carré de théâtre.

Sa place est près des meubles

Loin du bois à rentrer

Qui gonfle sous la pluie.    p. 46

*

Les pleurs inachevés sur les grilles du temple.

Ces deux traits de lumière.

Cette averse brisée.

Les visages grimés dans l’ombre des adieux.

Cette caresse morte.

La rue repousse le domaine,

Invisible rivière.

Dans la pierre éclatée nos doutes sont racines.    p.52

*

Démence de la toile

Là elle vit

Protégée des regards

Offrant aux murs

Le délire de son sexe fardé.

Le corps abandonné

Aux rites des couleurs

Elle attend que survienne

La promesse de l’eau

Où se voir est permis.     p. 53

*

 On dit

Que les fusils affleurent

Sous les chevaux de frise

Que les fouets

Ont raison du silence

Et qu’on n’a pas revu

L’homme

Qui parlait aux clous

Les yeux au bord du vide.     p. 57

*

Pour France

À la pointe du dérisoire

Vivre sans compas

Ni épée

Une main

Posée

Sur le ventre de l’oiseau.

Recomposer l’écorce

L’enfance du regard

Pour atteindre l’envol

Où le cou se repose.     p. 60

*

Jacques Imbert, lagune, collection haut langage, éditions Saint Germain des prés, 1984.

L’eau n’a pas ici

Allure d’horizon.

Une aube la força

Aux berges ordinaires,

A l’inventaire

De fin de saison.

Plus fraternelle en apparence

Que l’océan.

Elle dit ses lointains,

L’ivoire de son chant.     p. 14

*

Les géants sont couchés,

Entre leurs cuisses

Veillent les masques.

Grise la lagune,

Infidèle

Comme eux.       p. 17

*

Soleils aveugles

Que le sol distribue

Au bout de chaînes mortes.

Comme si la poitrine

Pouvait redonner souffle

Et agrandir le jour.      p. 21

*

Sphères, têtes et branches,

Totalité,

Maîtrise.

Dieu d’eau et de verbe

Au royaume des pluies.      p. 22

*

Mes filles de lagune aux hanches fugitives

Je dirai nos étreintes,

Le verbe qui s’essouffle

À s’insurger encore,

Tous mes désirs de fuite.

Au creux de la parole

J’ai bâti un espace

Pour les mots désarmés

Qui flétriront mon nom.      p. 33

Sur le rocher

Où dort la femme au sein percé

Gît la lumière.

Alors s’installe en lui

Un rythme sourd

Qui récuse le sang

Et salue l’affrontement des eaux

Au plus profond

De la lagune.      p. 34

*

Dans cette île au passé de chaînes

Fut accueilli le génie des funérailles.

Aujourd’hui, rire des filles,

Hôtel, piscine.

Assis sur le carré de sable

Que nous avons tracé,

Nous connaissons la peur.      p. 37

*

L’or nocturne,

La loutre

Sur le ventre des femmes.

Tes rêves de piliers,

Tu les confieras

Une autre fois

À la lagune.      p. 45

*

Leurs bras

Enroulent des mots étrangers,

Des mots qui proclament la fête

Et saluent l’évidence.

Refuser le sommeil,

Intervenir.

Pour dire l’inaccessible

De la lagune

En sa région d’ivresse.      p. 49

*

Regarde,

Écoute le dedans,

Cet autre en toi

Qui dissout les contraires.

Nomme-le ton pareil,

Accorde-toi.

Suture tes plaintes,

Elles n’accusent personne

Que toi.

Laisse tes pas

Se perdre

Et vaincre l’apparence.

Jamais la terre

N’est allée seule

Vers la lagune.       p. 71

*

Jacques Imbert, Ce qui au dehors se divise et s’étend, éditions Jacques Brémond, 1991.

Le temps a quitté ses repaires.

Tout est bien près de basculer.

S’étioler.

Regard néon bleui de ronces,

Au cœur

Des yeux d’oiseaux

Parfaits de rectitude,

Le souvenir de soirs

Que le froid a tués.

Le jour s’effondre.

Vous êtes là veilleurs immobiles.

Vos mains s’habillent de bleu,

Vous avez pour le feu

Le respect des cigales.

Vous marchez dans vos têtes gelées,

Chaque pas vous lézarde.

Aux cimes  lointaines

Vous avez dit vos habitudes.

Il faut tenir.

Vous serez forts.

Point d’aube désormais

Dans le fond de vos poches.

La pesanteur efface les lanternes.

Sous chaque pierre

Vit un brouillard aux yeux de rose.      p. 12

*

Tu veux dire douceur

Et tu parles guerrier :

Dure lutte qui sombre

En renoncement

Par peur de l’évidence.

Comme si du rire

Il ne restait que les dents

Et du feu

L’ogive des branches.

Derrière la vitre

Le mur compte ses vaisseaux.

Il ne sait rien

De la blancheur urgente.     p. 17

*

Nomades rouges,

Il leur arrive d’annoncer le deuil

Et de laisser sur leur passage

Des villages hagards.

Consoler leur serait impossible.

Quand s’écarte leur silhouette,

Dans les remous de l’air

Parvient une musique errante.

Alors menace le sommeil

Aux chemins croisés

Des eaux à reconstruire.     p. 27

*

Le puits est son ombre

Autre trou dans le sol

Sans margelle ni couvercle.

Dans le jardin de repos

Passent des hommes

Que des mots sauvent, sans savoir.     p. 33

*

L’oubli guette l’énigme

L’indicible des soirs de feu

Où nous rêvions nos vies

Sous des voûtes[gc1]  de sel.

Dernière acclamation.

Il est tard. S’ouvre la porte

Sur des rues d’ambre noir.

Même les mots s’évadent

De clôture en clôture

De visage en secret.

Rien de changé

En apparence.

Manque ce qui est au-delà

Qui dépouille la fête

Râcle les os jusqu’au silence.

Il faudra que reviennent

Ces heures inachevées

A épeler sans hâte

Comme autant de clartés

Vives dans la neige des corps.

Vivre le farouche

Serait trop s’éloigner.

Mémoire incendiée

De l’initiale.     p. 41

*

Avec le souffle,

Pactiser,

Démêler les approches

Pour retenir l’épure

D’un moment qui s’isole,

Se décrit.

En un jet de mémoire,

Des torses abondants,

Les cous noués,

Le vent des chevelures.

La douleur n’en est pas plus présente

Ni l’envie amoindrie.

Importe l’espace où dresser le dos

Pour deviner des roches

La fin de la rupture.

Se faire jeune et beau,

S’élancer dans ce pays

Qui ne connaît rien de la chute.     p. 45

*

Enflé d’espace

Courir sur la corde du temps.

Se dire jusqu’au délire.

Mots de passe aiguisés par la nuit.

Entre les arbres quel passage ?

Décliner son nom ne change rien.

Se dire soi

Ou entreprendre

La lecture de chaque chose,

Dresser l’inventaire.

Tenter des gestes,

Savoir leur vanité,

Simplement tenter,

C’est d’énergie qu’il est question.

L’exclusion règne.

Insulter le ciel

Son agonie de printemps

Sûr que rien n’apaisera

La douleur

Née d’une faille     p. 48

*

  à J. A

Musique proche, clarté d’ivoire

Élégance de l’ombre

Sur des meubles de verre,

Un regard clair à peine entrevu.

Calmer le souffle

Pour le vide à venir.

De maigres mots

Pour tenter la rencontre

Avec l’autre, le même

Sur la rive opposée.

Pour allier le sens au territoire,

Tailler des sources

À même le corps.

Parfois l’absence derrière les paupières,

L’oubli minuscule

La nuit sans veille

Le trottoir nu, fermé.

Que faire alors de la terre

Qui ne soit ni routine

Ni mensonge ?      p. 51

*

De quel baume être porteur ?

Comment savoir

Pourquoi l’on part ?

Comment ne pas devenir

Cette couleur qui danse ?

Beaucoup appris ?

Oui, vieux poète.

Les tombeaux ne prennent rien

À la terre.     p. 56

*

Sans preuves.

Le savon troue les doigts,

Emporte avec lui

Un carré de lavoir.

Renoncer comme lui,

Et laisser au matin

Tous ses fers au côté.       p. 66

*

Jacques Imbert, Les jours et les autres, éditions Jacques Brémond, 1995.

p.10.

15 décembre 1984

Face aux paysage découvert, aux hommes qui le peuplent, à ceux qui le façonnent, avons-nous jamais un regard neuf ?

En nous, toujours, le souvenir de ce qui fut notre décor quotidien, le fil qui relie et attache.

Dans ce Nord que j’habite depuis quelques mois, je n’ai ni racines ni repères. Pourtant rien ne m’y paraît vraiment étranger sans doute parce que tout ici est possible, le ciel ne renonce jamais, la terre est miroir et sans rien prendre qui ne soit offert vous possédez tout : les peupliers sous le bleu des faïences, la dentelle des terrils, les estaminets, les fêtes, la brique rouge, les carillons, et les poignées de mains, la ligne de fuite des autoroutes, les chemins coutumiers.

16 décembre 1984

De Pierre Dhainaut dans Fragments d’espace et de matin : « Tout le ciel, dense et nuancé du côté de la mer, du côté de la terre constamment mobile, l’horizon n’est plus un obstacle obsédant. Où que l’on tourne les yeux, que l’on avance ou que l’on s’arrête, être et disparaître ne font qu’un : cette lisière, on ne saurait dire ce qui appartient au corps, ce qui appartient à l’espace. Au bord, en permanence, au cœur. »

26 décembre 1984

Pourquoi suis-je à ce point obsédé par le sens ? Est-ce bien réalité, nécessité fondamentale ou quelque obligation formelle que je me serais imposée pour une raison que j’ignore ?  

*

p. 18.

19 mars 1986

Le « Caillou qui bique » : en Belgique tournage avec FR3 pour une émission de Jean-Marie Chotteau dans la maison où vécut Verhaeren.

« Et je tremble et j’exulte à ouïr le mystère / Parler comme quelqu’un qui parlerait sous terre. »

29 mars 1986

« J’écris comme je cours », me dit-il, avant d’ajouter « heureusement que je prends des points de côté. »

30 mars 1986

Vu Jean Brianes au vernissage d’une médiocre exposition. Il me dit avoir des textes à publier. Le titre du recueil est choisi : Impasse de l’Espérance. C’est là que se trouvait à Marseille le café où il rencontrait Gérald Neveu.

Gérald Neveu qui écrivait, avant de se suicider à 39 ans : « le destin était pur qui verrouillait l’espace. »

1er avril 1986

Se détourner, se désencombrer.

2 avril 1986

Pourquoi cette statue du Christ dans un mur du château a-t-elle une main rouge et l’autre bleue ?

*

p. 39

5 décembre 1988

Tenter de faire comprendre qu’il ne sert à rien de vouloir toujours figer le culturel dans le vérifiable.

10 janvier 1989

De Christian da Silva ces vœux : « Pour vous trois plein de miel sur vos tartines en cette année phrygienne où nous fêterons davantage nos pacifismes que nos révolutions intérieures. »

Christian, nos embrassades et nos coups de gueule. Avec sa façon à lui est d’empoigner le public par poème interposé : « Je viens vous voir à coups de syllabes. A vous d’en faire des mots d’aujourd’hui et de demain surtout. »

Avec sa fougue, son goût de l’éveil, sa confiance absolue dans la poésie, la jubilation du dire et du chanter sans attendre « les bénédictions de tous les manchots qui salivent bas »…

Avec, aussi, l’érable qui grandit à côté du fenil, la force de mémoire des objets familiers, le temps avec lequel il faut rompre : « Par le séisme nous revenons / où saigne l’informulable : / cette feuille carnivore qui ne vieillit jamais. » 

Le 12 janvier 1989

Pour la première fois j’ai dû faire face à la démence d’un homme. Avec l’obligation de la contenir. Terrible expérience qui  me laisse anéanti, toutes passerelles rompues, en révolte contre cette part de nuit  qui s’accroche aux épaules.

Me reste le souvenir soulagé et peu fier du départ hésitant vers d’autres tremblements, d’autres épouvantes.

*

p. 47.

27 décembre 1989

Les créateurs sont soumis à de bien étranges pressions. L’effet de l’œuvre devenant plus important que l’œuvre elle-même, certains risques bien d’être tentés de créer que l’on attend d’eux.

La situation n’est pas nouvelle certes. L’art a toujours été peu ou prou lié au pouvoir.

Le premier numéro des Cahiers du renard, revue de l’ANFIAC, le rappelait récemment au travers de deux exemples éclairants.

D’une part, analysé par Daniel Dobbels, l’interminable échange de courrier entre Rodin et Omer Dewavrin le maire de Calais commanditaire des « Bourgeois », l’un pressant l’autre d’en terminer au plus tôt, l’autre souhaitant une œuvre vivante qui se mêle « à l’existence quotidienne de la ville » et réclamant du temps : « C’est un monument colossal, et peu en rapport avec l’idée de rapidité qu’on se fait d’un travail. » L’inauguration aura lieu en juin 1895, onze années après la commande. En août 1894, Omer Dewavrin avait écrit à Rodin : « Je considère le retard de l’inauguration comme déplorable, mais puisque vous ne pouvez pas, nous sommes bien obligés de nous soumettre. »

D’autre part, cet extrait de contrat signé par Joseph Haydn et le prince Esterhazy en 1761 : « Le vice-Kappelmeister sera sous l’obligation de composer toute musique que pourra commander son Altesse Sérénissime, de ne communiquer ses compositions à personne d’autre, ni de permettre qu’elles soient copiées, mais de les conserver à l’usage exclusif de son Altesse (…). En outre, le dit Joseph Haydn sera nourri à la table du personnel. »

*

p. 48

12 janvier 1990

Joë Bousquet dans Papillon de neige : « Espoir : l’artiste grandit en voulant ce que la poésie exige » et sous la plume de René Nelli : « La poésie a toujours été pour Bousquet un exercice nécessaire, vital et angoissant (…) C’est elle qui nous apprend, tant que nous sommes en ce monde, à nous saisir, à l’envers de ce que nous ne sommes pas, dans la réalité de ce qui est. C’est elle qui donne à l’homme l’illusion, ou la certitude, qu’il lui sera possible, à l’heure de sa mort, de se voir passer, les yeux ouverts, de l’autre côté de la vie. »

Par arrêté préfectoral en date du 10 janvier 1990, la chambre de Joë Bousquet est désormais protégée au titre des monuments historiques : « Considérant que la chambre où vécut Joë Bousquet de 1924 jusqu’à sa mort en 1950, où il rédigea son œuvre littéraire, ses correspondances, et où il reçut les plus grands noms de la littérature et de la peinture contemporaines, prolonge la mémoire de l’écrivain et son activité intellectuelle par la permanence de ses dispositions mobilières et immobilières.

Considérant que le maintien de ces dispositions doit être préservé pour conserver à ce lieu de mémoire tout son intérêt. »

15 janvier 1990

Accuser les hommes, leur idéologie d’antan pour refuser des œuvres. Triste débat.

16 janvier 1990

« Si on s’estimait heureux ? » – Samuel Beckett.

*

p. 74

12 octobre 1992

Reçu Inquiétude en sentinelle, recueil posthume de Paul Vincensini, ouvert par une bonne préface de Jean Piétri, un peu maniérée peut-être mais à l’émotion contenue.

J’en extrais cette parabole qui dit tant de choses sur Paul :

« Ils commencent par déposer sur le coup de midi quelques outils bizarres dans un coin de votre cour. Vous ne cherchez pas à savoir car ils vous ont dit en ôtant leurs bérets qu’ils reviendraient les prendre dans un instant. Puis ils viennent la nuit travailler en silence durant quelques heures. Un jour ils repartent avec leurs outils. Vous regardez avec émoi autour de vous : rien n’a changé, tout est absolument semblable. Mais pour le reste de vos jours vous aurez dans un coin du cœur une petite inquiétude en sentinelle. »

14 octobre 1992

Reprendre les pages de ce journal, les reproduire telles quelles en ajoutant simplement les réflexions qu’elles m’inspirent aujourd’hui. Se nourrir explicitement de soi. Se servir de la distance, la combler (?).

15 octobre 1992

Florence est à Aix-en-Provence où elle installe l’appartement que désormais elle va habiter.
Ici ce qui est donné ne se perçoit plus que vaguement. Hier elle m’a dit : Mac Gyver, Macintosh, Mac Donald : la civilisation…

*

p. 78

11 décembre 1992

Il faisait corps avec le risque, le battement, la lumière, tressait l’épure, creusait l’espace de regards. Il était le maître des signes.  J’ai du mal à écrire ici que Dominique Bagouet n’est plus. L’ombre est trop lourde. Comment aiguiser des paroles qui ne rendront pas compte de l’essentiel, de cette recomposition, de cette reconstruction de soi qu’imposait chacune de ses créations ? Dialogues, tête à tête à poursuivre, revivre l’humour, la malice, le jeu, la poésie, l’exigence.

26 décembre 1992

Au lendemain du pire Noël que j’aie jamais vécu. Dans la chambre où il est allongé en permanence, une affiche-poèmes posée depuis longtemps. Pour la première fois m’apparaît cette phrase : «Place aux hommes de nulle part et que cheminent entre nous des vocations de désert. » Dans la chambre je passe de temps en temps, m’assieds au bord du lit et suis frappé d’un étrange mutisme. Il faudrait bavarder pourtant. Il est minuit moins cinq. Du bureau où j’écris, je l’entends parler de l’autre côté de la cloison.

29 janvier 1993

Mon père va mourir aujourd’hui ou demain. Assiégé de toutes parts. Sa résistance m’impressionne tout comme la volonté de ma mère de ne pas le quitter des yeux et l’attitude tendre, généreuse, juste de France. Les moments passés à l’hôpital me sont insupportables. Je manque de courage.

*

p. 96

11 mars 1994

« Art isn’t life, it’s negociation. »

12 mars 1994

La nuit durant, l’incendie a calciné les ailes des anges. Origine et fin. Entre les deux, les mots n’ont pas manqué, ni l’hostilité de la danse ni les dés de cristal.

13 mars 1994

A ton côté il a dessiné un visage riche de tant de tendresse et de tant d’abandon que l’idée lui vint d’un autre incendie qui mettrait à bas les opéras les plus vivaces. Dire que parfois l’édifice est de marbre.

14 mars 1994

Il se fait tard dans les palais, les incendies ne sont plus hasards, le temps est venu de faire signe. Que dure la tendresse quand les mains ont l’ombre pour navire ? Qui me fera inattendu, riche de sommeil, de tornade ou de peur ? Me parlera de ce désir qui trouble l’air comme le sable irrite les couleurs ? Je ne peux oublier de ta nuque, à volonté, ce dessin réapparu. Les mots ne manquent plus. Ils découvrent le sang jailli droit des oiseaux de l’enfance. L’orgue est de plume ce matin.

*

p. 115

18 septembre 1994

Il y eut ce blanc agité en vain, la chambre retrouvée vide. Il y eut tout ce temps, l’été qui filait doux. On a retrouvé son corps pas très loin de la Douceur, parmi les pierres de l’automne, dans le vacarme.

19 septembre 1994

Tout se brouille déjà. L’égal sommeil des révérends, un mouton perdu, les moines inaudibles, le guet-apens des routes. Le lac n’est plus lagune, les berges s’alourdissent, derrière tes yeux l’ombre commande.

Alors il faut aller, armé de plus d’amour, tailler le vide des rencontres, recueillir la larme bouffonne au profond de la nuit. Balayer les dalles aux secrets déhanchés, saluer des mariés hilares. Retrouver l’oiseau rouge immobile à tes côtés, et qui se faisait une fête de la gravité de ton regard.

20 septembre 1994

Bonheur tendre des loups sous les portiques, miroirs savants épousés par la lune. Au sommet, les images, nos couleurs. S’asseoir autour des tables et regarder le prodige des vitres. S’enrober de châles, prendre sa part de temps. Les lampes n’éteignent pas les regards auxquels il faudra bien se soumettre. Ce qui est attendu à Gourgoubès pourrait être de l’ordre du toucher ou du verdict.

*

p. 117 / 118

7 octobre 1994

Demain sera inauguré Rester-Résister, le monument conçu par Emmanuel Saulnier pour Vassieux-en-Vercors : 73 stèles de verre qui se déploient en un mouvement ascendant sur le site de l’ancien cimetière de la commune. Je ne pourrai être là. Je pressens qu’il y aura densité à vivre parmi ces visages sans limites. Être sans être. Les ombres se confondent, la phrase éveille, appelle les images d’instants vécus, désormais inséparables. Il parle d’un sommeil, d’un corps à dénouer, plus souple que l’écluse, d’un regard qui s’allège et dénude l’échange. Réserves de la main ou puiser les routes, la sève du souffle, la courbe des soleils.

Les mots accueillent, leurs échos se font fête. Tant d’autres sont prêts à l’éclat, attendent de prendre pouvoir. Les tailler comme on fait d’un cristal avant que ne vive l’étincelle, jusqu’à la source du feu. Rester, devenir le sensible passage vers ce domaine où rien ne se ressemble hormis la permanence.

Il parle d’un lieu qui caresse et dépouille, invente ses mesures à chaque battement. D’un lieu né du puits creusés là-bas au pays des lacs noirs. Comment tout cela est-il arrivé ? Est-il possible qu’il y ait eu du bruit autour ? Un regard veille. Lumière des étoiles cardinales avant l’ascension. Nommer, appeler l’énergie de l’attente en un autre magnificat. Tout pourrait s’ouvrir sous les cicatrices, l’impur monter de la terre en un éclair. Mais l’univers est sans chute, sans rien de tremblé ni d’indécis. Simplement suggéré le temps d’incrédulité qui vient après la lutte. Simplement présents le silence de l’eau, l’invisible du feu, l’équilibre des métamorphoses. Demeurent l’appel transitoire des corniches percées d’une vérité tenace et la question lancinante de l’origine de l’eau. C’est de toi qu’il s’agit. De toi, du trop d’énigme de la transparence. A la fin de la marche deux colonnes résistent à la barbarie. « Mériter son nom » dit Catherine Strasser.

*

Jacques Imbert, Les fils conducteurs, Acryliques de Marc Aurelle, éditions Jacques Brémond, 1999.

Suites

Il y eut ce retour, les seuils lavés au passage, le premier chaînon retrouvé là où l’attendait l’anneau. Il y eut la lumière des pas et l’ombre grandissante.

Mais les mots sont colombes et signent sur la mer des énigmes nouvelles pour lesquelles à notre tour nous dresserons des stèles, dans l’attention successive à un éternel qui est l’inachevé de ce qui fut.

Le passager de l’âme était porteur de ces abîmes qui font vivre plus fort parce qu’ils ne fixent rien et que leur appel est toujours l’écho d’un autre appel qui a précédé. Oui, il faut des mots avec lesquels on n’en finisse jamais. S’inventent alors des formes à dénuder avec lenteur.     p. 9.

*

Terres carnassières

L’accident, l’enfance, l’analyse : les fils conducteurs. Les tentes sont dressées, l’alleu se partage.

Parmi les acrobates et les fauves, il réduit l’argile embarrassée des mots, choisit ses plis au risque du passage.

Le corps attend, questionne ses limites, aspire aux retrouvailles. Dans les détails, l’écart persiste. Les noces seront tardives.

Il réclame des armes pour l’été de son nom, pour un autre voyage. Le jeu n’a plus de règles. L’extérieur le pénètre. Il possède tout, le ventre des statues, l’amande et la nacre.

Alérion qui requiert sur la lice, il s’associe des îles.      p. 13

*

Recomposer l’écorce

J’allais pêcher le vairon le long des murs de l’abattoir et dans le gourg surplombé d’un tilleul où s’empêtraient mes lignes. Certains jours, s’agitaient  au-dessus de ma tête cinq ou six bouchons, pendeloques multicolores, marques inaccessibles d’une maladresse native.

J’avais dix ans. Sur la place, le buraliste affichait les résultats du Tour de France. Une pancarte, interdisant les jeux, me conviait à respecter les abords du temple. L’obscur déjà, l’obscénité du temps.      p. 20

*

Issues nommées de jeunes nuits

Quand la peur est plus forte que le grain, que les violences menacent, il faut rompre le silence, ouvrir le passage.

Alors, du creux ou du sommet vient la voix qui apaise. Jamais elle ne manque, dit les mains confidentes, le matin des dimanches et les meubles couchés. Elle sait qu’entre hier et promesse,  rien ne se rattrape. Elle sait qu’il faut pourtant y croire.      p. 27.

*

Pour retrouver l’envol

Le fin canal qui relie la cascade au lavoir était, comme à l’habitude, couvert d’une couche de glace. On pouvait gagner de l’argent en ramassant des marrons sous les Promenades. Et la grand-mère continuait à monter chaque soir dans sa chambre la caisse de l’épicerie. C’était le temps des châtaignes dans le tiroir du buffet, des réclames sur les buvards que je collectionnais, des macarons achetés le dimanche avec l’argent de la quête, de la dent ébréchée au portail de l’école, du théâtre de verdure, de l’abbé Rouet et du curé Gélus.

Mon père conduisait une 202 noire immatriculée 450 AG 26 qu’il garait dans les Raymonds chez Mme Penet, la marchande de chaussures. Je ne savais toujours pas ce que signifiait la phrase peinte sur les murs de la salle de ping-pong du cinéma paroissial : « Labor improbus omnia vincit ». Cette année-là aussi il y eut du bois à rentrer et des rats traversés de métal dans la cave qui effrayait.              p .40

*

Revenir vers le manque

Où commence la route, il suit l’ombre de ses mots, déracine l’herbe des versants et cherche l’étincelle. Quand paraissent les oiseaux de nuit, il leur dédie ses liens.

Adossé au récit, il reprend souffle, sûr de sa traque. Il ne reviendra plus vers le poète mort qui hante la profondeur des pierres.

A l’heure inaugurale des comptes, l’horizon tranchera les étoiles.

Il retrouvera sa part empoisonnée, une veille de Toussaint, quand les lierres le faisaient étranger à lui-même, le forçant à l’enfance, aux fleurs de labyrinthes et aux récits d’aurore. Il s’appuiera sur les cernes du jour, las d’avoir ajouté aux désordres passés l’effort d’en rendre compte, en deçà d’une vérité qui blesse.

Il aura confirmé ses doutes sur le pouvoir de dire la colère et de penser la liberté indivisible.

 Il aura écrit que l’esprit était clair pour affronter la défaite du corps.      p. 45

*

Pour qui sait parler bas

On accédait là par une porte vitrée. Passé l’évier de pierre, il baissait la tête pour éviter les flèches.

Les grottes s’enfonçaient dans la chair, le bois couinait toujours un peu, griffé de souvenirs sanglants.

Au plus enfoui, il lui arrivait d’allumer ces minuscules feux d’étincelles qui parent les arbres pour Noël. Il disait je suis le seuil.       p. 49

*

Interrogatoire

A ses pieds, le gouffre de sable où il s’était perdu. Il y eut des journées plus chaudes, sans les nuages alentour, quand les bêtes traversaient le chemin d’accès. Le banc ouvre l’ocre des plis.

Il vient s’asseoir au centre pour tout voir de la lumière. Du chemin effondré monte la brume. Il y eut des passants, autrefois, on pouvait faire le tour.

Vers les peupliers, la décharge souffle des papiers d’emballage contre les grilles. Derrière, le village, labouré de silence. Le temps est multitude.

Sous le banc, deux lignes parallèles l’ont rendu au vide qu’il n’a pas quitté du regard. L’herbe de l’évadé est obscure, son récit hors d’atteinte.          p. 58

*

Rubican

Il réunit ses armes et jusqu’aux éperons de l’ancolie. Il ne supporte plus le vertige et le hasard des gestes.

Ermite guerrier, il feuillette la nuit, en quête des loups bleus qui dévorent les astres. Il est maître du noir.

De hache et de tenailles il ouvre la lumière, enjambe les cadavres et les buissons de mûres. L’air vénère le sang. Les charpentes ont tremblé.

Les pistes se croisent, dessinent la gueule des enfers. Les morts sont justes.

De tous ses requiems le matin célébrera la vengeance et l’adieu. Jusqu’à l’envol du cheval rubican.

p. 72

*

Orient achrome

(En cas d’occupation ou de non-réponse, réappuyez sur le bouton A puis appuyez sur le bouton B.)

Avec les maîtres déchus de la divination, les gardiens au ventre enkysté de reliques, je trie mes repentirs et mes haines. La terre emprisonne encore. Bientôt je rêverai que je range mes rêves. Écrire détériore. Je m’obéis sans conviction.

Poignets glacés en attente d’échos. Images apprises du bord de mer. L’orage même se dénonce. Sans instants, sans livres, sans cyprès, je ne peux rien bâtir. Ou me vole le temps.

Alors je me rends accueillant, à la poussière, aux bijoux. Propriétaire de transparence. Je cherche des mots épées qui tailleraient l’embâcle. Comédien égaré que le souffleur agace.       p. 77

Jacques Imbert, Tesserae hospitales, co-écrit avec Claude Minière, encres de Jean-Louis Vila,Publications des Marquisats, 2003.

Mission secrète à déployer pour aspirer les souffles, forcer les énigmes, les abris. C’est une alliance.

C’est une alliance. Vous la tenez entre ces doigts qui tournent la page. Musique gracile, fléau qui oscille entre mémoire et gratuité.

Tout détourner, jongler avec, recomposer le pâle, élire domicile dans les catapultes.

Vous ne savez rien du silence, des chemins de jadis et des fleurs imparables, du froissement des meutes. Greffes attendues d’une mémoire d’exil.

Plume qui se pose, signe que l’on suppose – une communauté, une mort, ou un départ.      p. 11

*

Ni cartes, ni voyages. Ils ne prêtent plus attention, ne gardent pas mémoire. Tous sont murés chez eux, ignorant les chemins neufs où chassent les hors la loi. La poésie a changé de ring, elle est devenue carnassière, alimente un passage au-dedans d’elle-même.

Les sourires ne coulent plus, les larmes ne sont plus visibles. Le troisième coup arrache l’éclat.     p. 21

*

La forêt sera devant, peuplée de figurants. Le temps n’aura de cesse. Tout livre vivra aux dépens de celui qui l’écoute.     p. 26

*

Tu verras les falaises s’ébouler sur la plage. La mer sera un tableau noir, sa craie blanchira toute tache de sang intellectuelle. Tu réaliseras la réalité. Tu inventeras des monstres, des personnages.

Tu entreras dans un territoire où plus personne depuis longtemps n’est allé. Il n’y aura plus de différence entre toi et ton ombre. Il n’y aura plus d’ombre entre toi et ta différence.     p .28

*

Tesson trouvé dans le couvoir, transporté jusqu’ici. De quelle alliance porterait-il la trace, la fêlure ? De quel contrat, de quelle séparation ? À un moment, toute chose devient tesson, rien n’a en soi son unité. Une moitié de passé, l’autre d’avenir. Ou partie manquante : imaginée, reconstituée.

Ce sera la chance même de la partie manquante. Tessons palpés dans le noir, écrits dans le jour. Une ligne, un son.

Vous direz en vous-même : « rien de nouveau sous le soleil ? » Si, pourtant, sous le soleil, la fêlure deviendra lézarde, vivante, silencieusement.       p. 41

*

Des machines seront créées à chaque seconde, à perte de vue, hors de raison. Les hommes auront des têtes de droits, ne sauront rien, seront avec.

Les cyprès s’éloigneront sur leurs collines. L’infini sera doublé, la circulation sera littéralement folle, seulement des touches blanches sur le clavier, des nuages de sauterelles dévoreront les déserts, on aura lu tous les livres, la mer roulant ses vagues d’émeraude, orpaillant les plages, s’épuisant aux bustes des rochers, ne recommencera plus.      p. 45

*

Les traités chinois de stratégie y insistent, le plus difficile est l’attente. Nous attendons. Ou n’attendons-nous plus rien, remontant l’avenue ?        p. 52.

*

Quand elle règne tant et tant la connivence, que les sourires ne sont plus qu’entendus et les paroles ignorées, la carte est un fer rouge. Toute lecture est une épreuve.

Alors vous laissez l’homme et son micro, les rubans tricolores, les concessions sur des murs très vides, les gestes prêts à s’éteindre. Vous faites de la distance gagnée une mèche qui court. Aussi décidée qu’une origine.

Garder le contact, c’est un immense effort. Tester les tessons. Couteau d’un petit choc. La fêlure invisible donne une sorte d’harmonie à la gamme barbare.      p. 57

*

Exil dans l’espace de jeu, lieu de passage des engagés.

Ne plus connaître d’ordre, s’endormir divisé. Contrariété à long terme.

Les lions de Délos, les oies du Capitole, le cheval de Troie, le chien des Baskerville, l’âne de Buridan, l’aigle de Meaux, le cygne de Cambrai, l’ours des Carpates, le loup des steppes, le tigre du Bengale, le marabout de ficelle. Malheur à l’homme seul !

À un moment, toutes les phases deviennent proverbes.    p. 58

*

Les ouvriers l’appelaient le Paradis. Dans ce qui reste de la fonderie, quand viendra le froid, vous aurez dénombré une joueuse aux osselets, une grenouille musicienne, des futs pour candélabres, un angelot (modèle de base à plusieurs fins), une baigneuse d’après Falconet, des éléments de la statue équestre de Jeanne d’Arc, le buste de Talma, un Saint-Éloi grand format. Vous n’aurez rien dit de votre trouble ou de votre embarras.

Puis ce sera pour un archéologue, en bleu de chauffe. Les objets seront là, attablés en un ordre inconnu, une composition aléatoire, jamais la même.     p. 64

*


 [gc1]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *