Textes de Claude Andruetan

foule -loup-y-es-tu-où-vas-tu-   houle

de nous la foule de toi de  moi défoule

et déboule en  tour de  roue déroule

de cycle en boucle cool-s’écoule-le temps

et tourne ta planète sa boule que ton pas foule

cA 2007

*

chacun de tes pas dans l’humus soulève des réminiscences d’autres passages,

ici  réactivés à l’improviste, au contour d’un vallon   recomposant le paysage

en suspensions de parcours anciens  et  de conversations intermittentes :

 

ne pas s’exaspérer à les convoquer là,    ne pas se crisper à les trier sur place,

ne pas acharner sa mémoire en son présent ;  laisser, dans l’humus des châtaigniers

se reconstituer les images et ses pas s’inscrire aujourd’hui encore et  pour on ne sait quand

 

mais alors  marcher en silence  et hors nos commentaires déambulatoires

à prétendre refaire le monde !

le monde    à refaire   ou    à  laisser  se  faire

marchant et méditant,  cheminant ou s’égarant parfois  en ses balises

ici simplement empruntant cette sente où le temps te confie un instant de son éternité

 

c.An..19.10.98

*

en son ombre désormais confondu

feuillage conjoint à la pelouse

gît l’arbre déraciné

 

et sa motte de terre à bout de tronc levé

s’immobilise en sa semence inversée

où s’épuise la sève

 

mais vibre en ses branches encore

comme un chant de veille ce souffle

où s’en va la vie

 

décembre 1999 parc Oullins

*

à bâtonner l’arbre nous récolterons les prunes,

yeux levés vers l’inaccessible grappe piétinant sur le pré le fruit épanoui,

nous les amasserons

de nos mains serrées sur le sac de plastique récupéré

où nous les laisserons pourrir,

et les branches nous serons verges battant l’ennui de nos gestes perdus

et les racines que nous ignorons saigneront de nos déchirures,

 

en ce jardin public,

si la rumeur nous reproche le saccage

s’épargnant à soi-même l’héritage

où tant de générations asservies

par tant de saisons conditionnées

ont désappris le fruit où reconnaître notre  soif .

*

lundi 17 janvier à midi

 

ça, elle ne me l’a encore jamais fait

ce son émis me ferait croire qu’il y a là

là un souffle d’émotion ;

 

jusque-là je ne prêtais pas attention

à ces émissions crissantes et brèves qui

se répètent à chaque repas et accompagnent

mes gestes l’effleurant ou la claquant ;

et là, c’est autre chose de plus surprenant

comme un son qui se répercuterait en vibrations internes

et pourrait s’interpréter comme un soupir de bien-être

si ce n’était la porte de mon réfrigérateur.

*

lequel,  de l’arbre ou de la roche ,

a retenu l’autre en la pente

où s’engage ce peu de terre

pour la graine et son fruit,

 

enlacement de racines et de rocs

ce conifère tel qu’il m’advient,

aussi noué à la pierre qu’il soutient

et par tant de tempêtes ajouré,

 

est-ce là demeure où s’enracine l’attente,

serait-ce essor que le vertige égare,

 

entre ciel et terre

ce qui hésiterait

ni  appel ni réponse

 

cela    peut-être   qui m’interroge ?

 

c.A… 1982.

*

l’AdVertance

 

à l’angle de la place où s’est porté mon pas

sur le pas de ta porte mon regard s’est posé

est-ce par inadvertance

au passage          qu’importe

est-ce là

pas-de-porte ou porte-parole

faire-part

de riposte en post-scriptum

imposture

en réciproque quiproquo

*

parfois  gravissant seule une pente

un écho me fait marquer l’arrêt

-voici-qu’il-vient-à-moi-j’entends-le-pas-de-mon-bien-aimé-

ce n’est que moi qui viens à moi

au tempo de mon cœur haletant

*

autrefois je voyais,

par-delà la cheminée le ciel

et qui semblait me toucher ;

aujourd’hui je vois

le ciel et la cheminée.

 

Transversales 93

*

c’est l‘amour que j’espérais porter

c’est l’espérance que je croyais vivre,

 

mais le temps n’est pas venu

s’en est allée l’inspiration,

de versets en déconvenues

s’est renversée mon intention,

 

d’ amertume s’est enrouée ma gorge

en son vertige s’engloutit mon désir ,

 

il m’en reste … un soupir

 

si la vie n’est pas ce que je croyais espérer

si mon cœur n’est plus ce que j’espérais croire

 

cependant,

acharnement du verbe à mes lèvres

et trace du doigt sur le miroir embué

pour permanence en ma solitude le sel

et le silence en imprégnation d’incertitude,

 

une permanence

en incertitude

à me rendre

 

univer sel lement  vôtre

*

passe et repasse en souvenance comme fer à repassage

autant de fois effaçant les faux plis et incessant toutefois

mais     d’autre temps    peut-être …

à entretenir ses fers au feu  à se maintenir agile poignet

en vigilance ainsi         ordonnait-on          sa mémoire    ?

c.A.. toussaint 2006

*

Accident

 

Rêve parmi les rêves

Etres parmi les êtres

Seul – -le perdu, l’abandonné

De qui naissait l’espoir de l’avenir

A rêvé, a parlé, a ri

Lui aussi

Il a été un rêve – Il a été un rêve

 

En quel parfum

En quel souffle

En quel furtif et tiède passage de la brise

Sur quel geste renoncé

De quel sourire de ses yeux

Renaîtra son essence ?

Avril 1983

*

mais comment tient-on debout sur la terre qui est une boule ?

entre autres interrogations celle-ci posée à l’âge où l’enfance en induit et déduit de si complexes

 

et son père, de lever à bout de bras un ballon qu’il fait tourner sous la lampe et

d’expliquer que si une fourmi était posée sur le ballon elle n’en serait pas pour autant

perturbée en son équilibre : et nous pas plus que petites fourmis dans l’immensité planétaire !

 

va pour la fourmi mais encore une question pour l’eau des océans et des fleuves

qui ne se renverse pas   alors que dans son verre…………    ?

*

La boule de machis-bouillis tourne en sa bouche, et combien d’efforts encore pour vider son assiette ; l’appétit manque plus encore que le courage pour ces premiers moments d’internat en lycée, dans la nostalgie de l’éloignement familial et l’angoisse d’enfermement qui oppresse là de tous côtés et plus austère alors ce réfectoire en soubassement de rue avec ses soupiraux en haut de mur enclos de barreaux répliquant à l’autre établissement en face que l’on sait être un hôpital pour aliénés. Entre les tables de dix élèves, conduisant son chariot l’employée de service s’impatiente et secoue l’élève devant son assiette qui tarde à se désemplir ; mais comment répondre la bouche pleine pour expliquer que toute sa bonne volonté s’emploie à cela sans résultat,  et quel outrage  interprété là  par l’adulte qui va aussitôt porter sa coléreuse indignation au bureau de direction… ?

Dans son bureau, Madame la directrice du lycée est  embarrassée de sa sanction moralisante  reprochant à l’élève de sixième son irrespect des grandes personnes et son impolitesse verbale, lorsque le fillette répond  à l’accusation avec l’énergie de l’innocence : -non je n’ai jamais dit un vilain mot, non, maman me l’interdit ! –

*

serait-ce la bicyclette qui trahit la fillette

le guidon qui l’écartèle, l’ourlet frôlant la roue

si dérive sa course dans le gravier du virage,

mais à chaque essai réitéré, anticipant la chute

où culbute le vélo et se soulève la poussière

sur le gazon où volette le jupon  l’on se relève

 

l’exercice prend fin quand grand’mère intervient, et duo de mains l’une dans l’autre,

vélo retenu de ferme poignet et volant relevé sur genou saignant, l’on s’en retourne).

cA. été 1999

*

comme  la châtaigne  à l’automne  se fend

comme   un semis    s’abandonne   au vent

 

comme fruit mûr s’étonne et se tend détaché au passant

comme feuillure pardonne et se rend éparse aux jonchées

 

comme on n’est plus d’avoir été

qu’un peu de  «cendre parfumée«*

quelqu’essor pour un autre été

ainsi  pour moi  est-ce comme

 

miettes de ma vie éparpillée dans le temps

spasmes de mon cœur éclaté dans l’amour

 

au delà-de-moi

 

d’aujourd’hui et d’outre-temps

aux cycles des saisons

de semailles en moissons

entre errances et séjours

 

me réconcilier

c.A…63

*

parfois  gravissant seule une pente

un écho me fait marquer l’arrêt

-voici-qu’il-vient-à-moi-j’entends-le-pas-de-mon-bien-aimé-

ce n’est que moi qui viens à moi

au tempo de mon cœur haletant

 

et qu’il me reste à suivre

en ce suspens panoramique

à la mesure du paysage extrapolé

et l’immesure de mon ordinaire course

 

là,        ce point d’orgue         d’où

reprendre mon pas contrapuntique

entre vertige en l’œil à s’outrepasser

et rappel du pied  rythmant le retour

 

claudiane Andruétan                      c.A.. 98

*

couturière

quand,

mettrai-je fin à mes jours

songea la dentellière-

-reprenant au matin son ouvrage de la veille

 

et le temps d’une boucle nouée sur le fil d’un point arrière

s’applique en son geste un revers à point d’ajours

 

jours de fête à points festonnés

et points de croix sur jours fériés

œillet reprise au point du jour

d’un jour à l’autre ourlet rivière

à l’entre-deux  points de repères

aux plis de l’âge entrelacés

 

et de fil en aiguille à faufiler le présent

le temps d’une vie entre ses doigts à points déliés

s’agirait-il de faire le point dans un mouchoir ajouré

oublierait-on d’ouvrir un nœud dans une mémoire

de dentellière

claudiane.Andruetan…95

*

l’autre soir, le soleil s’est tourné vers le fleuve,

sait-on le secret de l’un à l’autre  reflété…

et moi, sur le pont, à l’entredeux, qui traversais,

 

j’ai vu l’astre s’épancher en la Saône

et le fleuve en sa boucle englober le feu….

entre eux,  seule,  avec mon doute,  moi j’hésitais,

 

soir de décembre  où  lumière et oubli  célèbrent leur rencontre

mais soi, sur le pont en travers du temps ce soir,  à redouter son ombre !

 

c.A..   Lyon 29.12.1986

*

que faisais-tu

l’autre dimanche

de tes pas comptés

défiant l’équilibre

à perdre cœur

acrobate ou dément

hors la rampe du pont

invectivant le fleuve

de ta vie méprisée

à exaspérer la mort

 

et sur toi le vent

on ne sait d’où venu

où te mène t-il

aujourd’hui…………. ?

 

c.An..  1986

*

incandescent ce soir, l’automne

me rappelle qu’il n’est plus temps

d’exaspérer l’attente d’espérer l’inaccompli,

 

insolent l’automne me fait savoir

que l’avenir est dépassé

comme le passé n’a pas été

 

instamment l’automne me convie

en effusion de ses feuilles

au silence de ses racines

 

ainsi soit-il l’automne  ce soir  qui m’est présent

 

14.11.1991, paru dans Laudes 153

*

le temps  a  délaissé  l’attente

mais l’attente ne s’est pas lassée du temps

s’est pourtant demandé l’attente

pour quoi faire ou qui attendre,

autant de vent que n’ose le temps

au présent où s’érode l’attente

il s’est passé tant de temps à attendre

il en reste tant d’attente dépossédée

et la question toujours posée

pour quel temps autant d’attente            …

 

et le programmateur de répondre

/////  formulez votre demande  //// sur des  données conformes///////au programme //informatique// // //

*

au désert de ma vie

si vous intervenez

laissez

se composer l’espace,

se déplacer le sable,

s’effacer les pas,

laissez faire

si vous ne savez  que dire

si vous ne pouvez pas faire

laissez taire,

 

laissez                      se traverser                                   l’absence

 

du sable dispersé le vent cristallise le secret que restitue le temps

de l’écho répercuté le silence essore la promesse que porte l’attente

 

laissez                       au  présent                                      ce qui est

c.A.. 83

*

de vive voix,   ce que nous avons cru nous dire

le cœur à vif,   cela en nos silences partagé

 

de quel contretemps s’est offensée notre rencontre

en quel dialogue aurions-nous pu la sauver

 

de pas en émois    chemins parcourus et impasses imprévues

d’eau et de vent   reconnaissance évaporée de communication

*

bonheur saisonnier, on le retrouvait là,

oublié des gradins avec ses quelques prunes

abandonnées au sol ou offertes à qui passe,

mais peut-être était-ce accès interdit

alors justement concédé à modeste récolte

à savourer sur place en cet instant

accordé à son ombre et à ses fruits

 

cA (insolite dans le théâtre  romain, on l’a retiré du site !), paru dans Verso 126

*

plus je vais  et      moins je sais

plus j’ai vécu  et  moins  je deviens

qu’est-ce à dire

de ma vie à circonvenir

que reste à vivre

qui n’ait été dit

le temps d’apprendre le souffle pour consentir

si  humblement  présent  l’infini

*

Tous ces textes ont été lus lors d’une lecture hommage à la Galerie Mandon rue Vaubecour à Lyon le 16 janvier 2014.