Christine Durif-Bruckert, Courbet, l’origine d’un monde, éditions invenit, 2021.

L’autrice est venue là, pour faire face à l’origine du monde du peintre Courbet, toile demeurée longtemps à la joie indiscrète de quelques personnes de goût pour finir par être exposée spectaculairement dans un passage central du musée d’Orsay.

Comment raconter ce bout de corps

Épicentre du monde

Qui clôt l’horizon et l’outrepasse.

Christine Durif-Bruckert fait ce chemin d’arriver devant la toile de Courbet et d’y entamer un long voyage, d’abord obnubilée par la fascination de la toison noire au centre du motif, c’est qu’il s’agit de ne pas être happé :

Ça aurait pu commencer par la stupéfaction de l’enfant qui aperçoit fugitivement l’orifice inquiétant de sa mère comme à travers un voile et dont l’idée lui serait restée ancrée, non dans sa réalité mais dans un flou absolu et dérangeant.

Ouvrir le passage.

Il faut bien sortir d’une frontalité aussi abrupte.

La regardeuse s’oblige à des stratégies du regard, qu’il ne faut pas baisser,

Un noir et proéminent mont de Vénus s’empare des lieux

gouverne l’image

parce qu’à cause même du nom que lui a donné le peintre, la représentation de ce sexe risque de faire vaciller la pensée, entraînant dans un tourbillon des sentiments :

Un point fixe dans le chaos

moment cosmogénétique

de l’œuvre .

[…]

 …jusqu’à s’éloigner encore dans l’irreprésentable

la profondeur d’un entêtement au mystère.

Bouche d’ombre

regard dévisageant.

La poète arrivera-t-elle à prendre un peu de recul, à la manière du peintre qui évalue :

Le sexe me regarde encore

me demande de ne pas le lâcher.

Et ça dure

ça pourrait bouger

mais ça ne bouge pas.

Pas encore

comme si le sens pouvait disparaitre

comme un trou dans le savoir

un attachement à l’ignorance

Ou à s’affranchir de cette expérience qu’il s’est agi de faire très scrupuleusement, très soigneusement sans omettre chaque détail dans l’accomplissement de la chair,  Un si petit tableau pour condenser l’œuvre de récits éternels, tenter de comprendre pourquoi cette femme-là n’a pas de tête, pas de visage, décrypter le désir du peintre de ne pas pornographier le corps, de mettre en scène, dans la position du chirurgien ou du gynécologue, à la façon de Flaubert, froidement peut-être, mais probablement aussi avec l’œil du désir et la tendresse de la main qui caresse.

  Un trait

Incise aussi délicate qu’un fil d’air

Dans la largeur de l’infini

Une fente dans l’ordre de la beauté

Transformée par le regard en voyage sensoriel.

Voici venues les ombres de la vérité du sexe féminin, au-dessus le drap est rabattu en corolle comme dans une corbeille où les fruits se dévoilent, Les mots reviennent dans mon regard. / Respiration haletante. / Ils se déposent, délicatement, sur le tour de mes lèvres / bouche entre ’ouverte / ma gorge est chaude /     la soif encore, celle qui regarde, celle qui écrit peut s’être égarée à force d’être entrée dans la contemplation, ça bafouille / le corps ou la langue.

On peut remercier Christine Durif-Bruckert d’avoir eu l’audace et le talent de cette confrontation. Ils ne sont pas nombreux ceux qui la tentent sans perdre le sens ou sans perdre les mots précisément, car c’est une véritable plongée dans le monde de l’origine, et même si de nos jours il n’y a plus de scandale, la difficulté à faire face avec le soleil demeure effective.

L’instant, ailleurs

j’ai dépassé les vertiges

la dureté des falaises

les gémissements du vent dans les fractures du temps

et les plus grands orages

pour cet abîme-là

pour ce corps consumé.

Et remercier l’éditeur aussi pour le soin élégant à présenter œuvre et poème de la meilleure façon.

Georges Chich


 

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