Les textes des poèmes sont en prose poétique. L’ombre des rapaces recouvre les désirs d’un autre monde et celui qu’elle dépeint est manifestement maléfique.
Anne nous immerge dans son monde imaginaire pour que l’on porte un regard sur cet univers qui se déshumanise. Elle nous donne cette floraison de mots qui renouvelle notre perception en exposant par un débordement d’images, propre à éveiller l’esprit.
Cela venait de si loin en vagues de douleur
comme des coups de poing dans le cœur
l’angoisse qui étreint les soirs de forte houle
où l’on hisse la grand-voile du vaisseau de mémoire…
Dans le recueil d’Anne Brouan, des peintres apparaissent. Ils sont là comme si elle comparait les imaginaires, celui du peintre à celui du poète comme mêler l’expression poétique au lyrisme de Joan Miro :
Triptyque prophétique et glacé
des noirs miroirs de nos bassesses
Joan Miro
est-ce ainsi que les hommes meurent
une tâche rouge sur la toile pâle de l’angoisse…
Anne va voyageant sans repos par un cheminement qui dévoile de belles choses et les mots défilent avec de tristes apparitions.
Ce cheminement va d’image en image dont chacune est le creuset de sensations, une présence au monde de son propre univers.
Parfois l’ombre s’étend en grappes funambules
jusqu’aux confins de l’esprit et du monde espéré
comme ces pans de brume
accrochés aux sommets des montagnes…
Evaristo n’a pas eu peur d’exprimer au travers de ses œuvres la condition humaine, la cruauté de la guerre et la beauté de la vie à laquelle ne pouvait s’attacher qu’un message d’espoir
Avec toi Evaristo le regard habite un songe
dans tes toiles griffées d’or et de sang
poèmes profonds de nuit patiente
il y a bien des fois de la mélancolie
et de l’espoir d’un monde meilleur…
ou à propos de Marina Tsvetaieva :
Marina Marina le ciel brûle le ciel hurle
Dans ta nuit glacée ta nuit brûlante ta nuit d’insomnie
Et de rêves défaits entre les draps du jour
Ton âme à pas de géant
Traverse les ténèbres des heures sombres…
Une ouverture sur l’horizon d’Anne ; elle nous fait entrevoir l’emploi de mots pour dire sa peine, comme un regard depuis sa solitude.
A-t-on les mots pour dire suffisamment sa peine
Jusqu’à ce point où l’ange des solitudes
rapatriera le sens de toutes les paroles mortes
dans l’enfer des visions aux cercles innombrables….
Anne Brouan évoque Antonin Artaud :
Il tarde à venir Antonin Artaud ton poème d’éternité
bravant le commencement de cette mort que tu désires
pour entrer dans l’infini de ta nuit d’éternelle agonie
ta solitude nue déchire les murailles de la peur
Lorsque les parois du monde s’effondrent en ton esprit…
La poésie d’Anne vient de cette prépondérance majeure dans son engagement qui développe inlassablement des pensées éveillant le sens, elle déploie un regard attentif et nous permet d’élargir notre propre vision du monde.
Le monde va au chaos
les vents se contredisent
les roues tournent à l’envers
et mon cœur bat à contre temps
de la musique du monde…
La poésie d’Anne Brouan a ce mystère qui est la création d’une autre langue où le mot prend une autre dimension sous sa plume, ainsi qu’une élégance universelle.
Michel Bret