James Sacré, Figures de solitudes, éd. Tarabuste 2021.

Est-il besoin de présenter  James Sacré ? Né en 1939 en Vendée, enfance paysanne, bien présente dans son œuvre. De 1965 à 2001, universitaire aux États-Unis qu’il visite, en particulier l’Arizona ; grand voyageur donc, France, Italie, Maghreb ; les sites et paysages parcourus irriguent son inspiration. Revenu en France, réside à Montpellier.

Œuvre abondante, il serait trop long d’énumérer tous ses titres. Son premier recueil Cœur élégie rouge (1972) d’emblée reconnu par son lyrisme qui tranche avec le formalisme en vigueur. Associations fréquentes avec des plasticiens. 

Figures de silences (éd. Tarabuste, 2018) lui vaut le prix Kowalski de la ville de Lyon en 2021. On note évidemment la proximité du titre avec Figures de solitudes présenté ici. Les termes figure, silence, solitude, jalonnent l’œuvre de James Sacré, et donnent le ton, simplicité, exigence, formes du langage parfois proches des arts plastiques.

A l’évidence, le recueil Figures de solitudes (150 pages)se déploie dans la trilogie figure, silence, solitude. Par ailleurs, on peut repérer deux axes, d’une part les paysages et l’enfance, d’autre part l’interrogation du poète sur la poésie. L’implication existentielle établit, me semble-t-il, une proximité avec le lecteur, lui-même se laissant interroger par le registre propre au poème.

Ainsi dans le texte liminaire :

On referme un livre, on quitte un paysage, ça

ressemble

A quand tu termines un poème. On est seul

L’ouvrage est lancé, il alterne description de sites et réflexion sur la poésie ; notons que l’écriture en italique caractérise les réflexions-interrogations sur la poésie.

Nous commençons avec Gestes d’écriture en Toscane,des figures géographiques mises en relation avec les peintres :

Le poème est un églantier, pourquoi ne pas l’affirmer

Comme a fait Sandro Botticelli ?

Puis Traversée dans les Pouilles, écriture graphique de l’auteur avec ce poème Un trait de barque bleue, à Galipoli :

           Un peu après l’une des barques

           Blanche et noire à l’intérieur bleu

           Revient, se rapproche et presque le sentiment

           D’être avec son mouvement sur l’eau

Nous continuons avec Ailleurs en Italie, des maisons effondrées, similitude avec les vieilles maisons Hopi et les ruines des châteaux en terre au Maroc. La vue d’un berger  replonge James Sacré dans son enfance avec une certaine nostalgie.

La partie suivante, Relation de plusieurs solitudes, imprimée en italique, nous conduit dans le registre de l’intériorité,  retour sur soi : qu’est-ce que la poésie ? Que produit-elle? James Sacré relativise le pouvoir du poème, malhabile à restituer le souvenir, la perception, l’émotion. Il éclaire ainsi le titre du recueil :

Relire des poèmes dans un sentiment de leur inachèvement d’une part et d’autre part ressentir qu’ils t’échappaient, autant que tout leur échappait, t’a porté vers ce titre : Figures de solitudes. (…) Solitude comme un synonyme du mot poème.

Une sixième grande partie s’intitule Le plus familier nous abandonne, consacrée aux souvenirs d’enfance, à leurs sensations si présentes. Ainsi de la nourriture de la mère, Poèmes pour les mangers perdus, des merveilles à mon sens tant l’évocation des plats de l’enfance semble faire partie du présent :

Du caillé, cru ou juste un peu cuit

Comme le faisait maman, la matière ainsi légèrement plissée

Et qui bouge dans le petit-lait qui la baigne.

Le souvenir fait remonter celui du lait caillé de Beni Slimane au Maroc, des années après.

Puis Traversée de solitude, deux pages en italique, affirme que les textes sont encore plus éloignés de la réalité que les photos :

Les poèmes comme de très anciennes photos dès que les voilà écrits.

    ( …)

Tant de paysages devenus des amis silencieux dans l’oubli qui les maintient de moins en moins vivants

S’enchaîne ensuite une série de paysages, intitulée TON PAYS DE NULLE PART EST PARTOUT : Andalousie, Maroc, Sud-Ouest des États-Unis. Ma prédilection va au texte Au bord du mot  désert :

            Le désert du cœur : le mot solitude

            Le désert des mots : le silence

Solitude de l’oubli  (en italique) creuse la réflexion sur l’écriture d’une tonalité un peu désespérée :

Les mots d’emblée parlent de la mort, à tout le moins de la solitude.

   Chaque poème creuse un trou de silence / Dans la vie qui le tourmente.

Rencontrer les autres n’efface pas la solitude.

Vient la partie Le silence au-dedans grandit  qui retrouve le parler paysan de l’enfance, une des clefs du style de James Sacré

          A cause qu’al au-z-a dit

         Parole entendue vivante

         Dans les jardins de Cougou

         Peut-être que je déparle

        Dans mon désir d’être tout en n’étant pas

Et l’impossible expression d’amitié

  Je garde dans mon silence / Des mots que je ne sais plus dire.

Voici  Relation continuée des solitudes, poursuite de la réflexion sur l’écriture :

La beauté du monde ne nous abandonne pas. C’est nous qui la quittons, ou ne savons plus la voir.

UN TISSU CONTINUE DE SE DéCHIRER termine le recueil avec SI LES POèMES T’ACCOMPAGNENT :

La mort, le silence et la solitude / Font la trame de notre vie

Dernière phrase du recueil :

A la fin les mots sont peut-être moins l’or du temps que poussières de solitudes traversées.

Pour terminer, un petit retour en arrière dans l’œuvre de James Sacré. Son recueil Ancrits  (éd. Thierry Bouchard, 1983) prend son titre dans le « patois » poitevin, un Ancrit étant un écrit imprimé. Ce sont de courts poèmes rimés racontant l’enfance paysanne dans une langue proche de l’oralité :

Les grandes bottes de mon père avec un peu De paille au fond sourire sale un peu De crasse  (…)

On trouve souvent dans l’écriture de James Sacré un parler paysan pas très à l’aise avec le parler intellectuel, d’où parfois une originalité syntaxique et un vocabulaire peu académique, qui singularisent l’expression.

Quelques mots aussi sur un autre ouvrage de James Sacré, Écrire à côté  (éd. Tarabuste, 2000), des textes donnant l’ambiance de tel café, tel restaurant, à Aix-en-Provence, Paris, Bruxelles, le poète un peu distancié mais humainement sensible aux scènes très simples qui l’inspirent :

Puis Mostafa parle de politique et tout ;

En arabe en français, moi, les habitués du café,

visages ;

L’à côté  du poète, sa solitude, son silence, en rien égocentriques ; le travail du texte, chez James Sacré, prend appui sur l’humilité ; le paysage intérieur additionne les espaces parcourus lors des voyages ; les traces des différentes civilisations ne se combattent pas, elles cohabitent et fusionnent.

James Sacré, un poète à la solitude habitée.

                                                                        Geneviève Vidal

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