Rapaces de l’ombre  d’Anne Brouan, éditions la rumeur libre, 2020.

Les textes des poèmes sont en prose poétique. L’ombre des rapaces recouvre les désirs d’un autre monde et celui qu’elle dépeint est manifestement maléfique.

Anne nous immerge dans son monde imaginaire pour que l’on porte un regard sur cet univers qui se déshumanise. Elle nous donne cette floraison de mots qui renouvelle notre perception en exposant par un débordement d’images, propre à éveiller l’esprit.

Cela venait de si loin en vagues de douleur

comme des coups de poing dans le cœur

l’angoisse qui étreint les soirs de forte houle

où l’on hisse la grand-voile du vaisseau de mémoire…

Dans le recueil d’Anne Brouan, des peintres apparaissent. Ils sont là comme si elle comparait les imaginaires, celui du peintre à celui du poète comme mêler l’expression poétique au lyrisme de Joan Miro :

Triptyque prophétique et glacé

des noirs miroirs de nos bassesses

Joan Miro

est-ce ainsi que les hommes meurent

une tâche rouge sur la toile pâle de l’angoisse…

Anne va voyageant sans repos par un cheminement qui dévoile de belles choses et les mots défilent avec de tristes apparitions.

Ce cheminement va d’image en image dont chacune est le creuset de sensations, une présence au monde de son propre univers.

Parfois l’ombre s’étend en grappes funambules

jusqu’aux confins de l’esprit et du monde espéré

comme ces pans de brume

accrochés aux sommets des montagnes… 

Evaristo n’a pas eu peur d’exprimer au travers de ses œuvres la condition humaine, la cruauté de la guerre et la beauté de la vie à laquelle ne pouvait s’attacher qu’un message d’espoir

Avec toi Evaristo le regard habite un songe

dans tes toiles griffées d’or et de sang

poèmes profonds de nuit patiente

il y a bien des fois de la mélancolie

et de l’espoir d’un monde meilleur…

ou à propos de Marina Tsvetaieva :

Marina Marina le ciel brûle le ciel hurle

Dans ta nuit glacée ta nuit brûlante ta nuit d’insomnie

Et de rêves défaits entre les draps du jour

Ton âme à pas de géant

Traverse les ténèbres des heures sombres…

Une ouverture sur l’horizon d’Anne ; elle nous fait entrevoir l’emploi de mots pour dire sa peine, comme un regard depuis sa solitude.

A-t-on les mots pour dire suffisamment sa peine

Jusqu’à ce point où l’ange des solitudes

rapatriera le sens de toutes les paroles mortes

dans l’enfer des visions aux cercles innombrables….

Anne Brouan évoque Antonin Artaud :

Il tarde à venir Antonin Artaud ton poème d’éternité

bravant le commencement de cette mort que tu désires

pour entrer dans l’infini de ta nuit d’éternelle agonie

ta solitude nue déchire les murailles de la peur

Lorsque les parois du monde s’effondrent en ton esprit…

La poésie d’Anne vient de cette prépondérance majeure dans son engagement qui développe inlassablement des pensées éveillant le sens, elle déploie un regard attentif et nous permet d’élargir notre propre vision du monde.

Le monde va au chaos

les vents se contredisent

les roues tournent à l’envers

et mon cœur bat à contre temps

de la musique du monde…

La poésie d’Anne Brouan a ce mystère qui est la création d’une autre langue où le mot prend une autre dimension sous sa plume, ainsi qu’une élégance universelle.    

Michel Bret