Trouver refuge : le titre interroge, comme une porte entrebâillée
Trouver refuge, se mettre en mouvement vers la possibilité d’une halte, fut-elle improbable.
Le poète va « Délier le paysage », endosser le risque de sa présence au monde, s’exposer au foisonnement d’images, de sensations, de souvenirs, dans ce que leur perception a de plus ténu.
Mais la poésie de Pédini ne décrit pas le paysage, ne nous offre pas le recours à de belles choses à voir (en cela, on peut le situer dans la lignée d’A. Emaz, également de Reverdy) C’est un cheminement qui va d’image en image dont chacune est le creuset d’une sensation, élaboration d’une présence au monde et de soi dans ce monde:
Une pluie si soudaine qu’elle laisse des
flaques sur l’horizon. Et on est là, trempé.
On laisse les souvenirs infuser en plaquant
fort chaque regard contre nos torses nus.
Le paysage lui-même est traversé de sensations :
Après l’orage, les champs sont pleins de
bosses, pleins de fatigues, pleins de mur-
-mures. Le paysage se raconte à voix basse.
Présence du corps, de son engagement au rythme de la marche, et chaque pas est une rencontre avec un paysage qui éveille les sens, dont le plus sollicité est celui de la vue, du regard attentif aux variations des atmosphères produites par le ciel, aux effets de couleurs, de lumière, nouant parfois intimement écriture et peinture.
Un carton de lumière oublié ce matin dans
un coin sombre.
Au loin, les
couleurs se font plus intenses et coulent
lentement des champs.
Cette ouverture sur l’horizon est sans cesse contrebalancée par la pauvreté que peuvent produire le paysage et les sensations qu’il génère, pauvreté exprimée en termes de miettes, débris, poussière, éclats… Les ronces, leurs épines, évoquées à plusieurs reprises, semblent être à l’œuvre dans ce processus de « mise en pièces ».On se dit que l’enfance a sans doute laissé un peu d’elle-même aux ronces du chemin. Les souvenirs eux-mêmes, et notamment les tentatives d’évocation de l’enfance, échappent, images fugitives, n’offrent aucune permanence :
Quelque passé sans image. Les débris d’une
enfance qu’au sol plus personne ne cherche.
Ainsi, la quête du refuge apparaît-elle comme une traversée de l’insaisissable. Mais dans ce monde extérieur fait d’éléments épars, d’éclats, de poudroiements, de vibrations, Pédini perçoit, isole et combine différents aspects qui l’ont frappé, qu’il conserve dans la « chambre intérieure », filtrées, tamisées par l’écran et le cadre de la fenêtre.
On regarde dehors et ce n’est pas un mot
qui vient, ni l’attente déliée. Ce qui vient est
vivant.
Au fil du recueil, le cheminement se poursuit dans l’alternance, d’une strophe à l’autre, de l’emploi d’un On renvoyant à la présence d’un narrateur anonyme, et le recours à l’infinitif, qui sous-tend l’intention annoncée par le titre Trouver refuge. Dans les deux cas, une indétermination, une mise à distance, que vient contredire l’acuité de la présence au monde d’un être dont tous les sens sont sans cesse en éveil.
On ne ferme pas les volets sur le dehors.
On les rabat vers soi. Ce qui est là ne s’en
va plus.
Enfin, dans cette traversée de l’insaisissable, l’emploi du verbe tenir est paradoxalement fréquent. C’est peut-être cela trouver refuge : approcher le noyau de l’être, ce qui tient malgré ce qu’une vie peut occasionner de cassures, de brisures, de blessures, d’émiettement, de dispersion, d’oubli…
Presque rien ne se répare
Mais
On laisse les couleurs de l’été se diluer dans les
champs. Prendre racine en soi. On serre les
dents pour que ça tienne.
Et parfois
Trouver refuge dans un matin défait
Josiane Gelot