Terre de femmes -150 ans de poésie féminine en Haïti, anthologie établie par Bruno Doucey, éd. Bruno Doucey, 2010.

Très bel ensemble que les poèmes de ces 31 Haïtiennes, de la fin du 19ème siècle à nos jours. Bruno Doucey en donne une présentation éclairante dans sa préface, soulignant le caractère d’urgence qui anime ces écrivaines, moins connues que leurs homologues masculins (René Depestre, Lyonel Trouillot, Jean Métellus, Dany Laferrière, Franketienne …). La mise au jour de ces écritures féminines ajoute à la vitalité de la littérature haïtienne, francophone comme l’on sait. La tâche de ces femmes-poètes : « ravauder la beauté déchirée du monde », écrit joliment Bruno Doucey. Et l’on sait à quel point Haïti fut et reste secouée d’épreuves et de difficultés en tous genres, dictatures (Duvalier père et fils), violence, pauvreté, catastrophes naturelles (200 000 morts par le séisme de janvier 2010)

   L’on sait aussi que les femmes reçoivent de plein fouet les difficultés du quotidien, qui leur laissent peu de répit. D’ailleurs, de trop nombreuses écrivaines d’Haïti ont cessé d’écrire une fois mariées, submergées par leurs obligations familiales.

  Parmi elles, certaines sont exilées en Amérique du nord ou en France.

  L’anthologie répartit les auteures en 5 périodes :- avant 1915, -1915 /1934, -1934/1956, -1957/1986,-après 1986.

  Les thèmes de l’amour, de la séparation, de l’attachement à la terre, des bouleversements de l’histoire et de la nature, de la violence et de l’exil sont récurrents, avec des formes classiques ou éclatées, dans une langue française irriguée par une sensualité solaire, -sensations et émotions exacerbées-, exprimée par des images fortes, et parfois une syntaxe démembrée.  Nous découvrons des univers passionnés et combatifs.

   Citons quelques uns de ces noms et prénoms (souvent savoureux) …

Ida Flaubert (1882-1969) en une versification classique dit les affres de l’amour, la beauté du pays natal et l’épreuve de la mort de sa fille :

 « Je rêve et sans doute l’enfant sommeille ;/Pourquoi près de moi dit-on qu’il est mort ».

Emmeline Carriès Lemaire (1890-1980) a composé une Ode à Bolivar : « Dans l’éther Bolivar lut l’avenir comme un Dieu/ Et fut l’épée de la Liberté ».

Cécile Diaquoi-Deslandes (1907) propose des textes pleins de fraicheur : « Les jeunes filles se déhanchent/Les vieilles femmes chuchotent, chuchotent ».

Marie-Thérès Colimon (née en 1918), enseignante, militante du droit des femmes, chante son pays : « Je dirais, torches rouges tendues au firmament/La beauté fulgurante des flamboyants ardents ».

Jacqueline Beaugé-Rosier (1932) déclare dans le poème Affirmation : « Je suis l’eau de l’avenir/sans laquelle tu n’existes pas ».

Jacqueline Wiener fait vivre la racine africaine de son peuple : « le Tam-Tam obsédant/ du tambour ».

Lilian Dartiguenave (1907) écriture de révolte contre l’injustice et la violence (son mari fut assassiné en 2000) : « renais Ô ma patrie/réapprends la fierté ».

Marlène Rigaud Apollon (1945) exprime la douleur de l’exil : « Le peuple de mon pays natal /m’a appelée touriste ».

Michèle Voltaire Marcelin (1955), vit à New York ; à propos du séisme de 2010 : « Et la faille de la terre et celle de nos cœurs se joignirent / Et nous perdîmes notre peuple et notre terre ».

Marie-Cécile Agnant (1953), vit au Québec : « Les ongles plantées dans l’écorce de la terre/au creux du mensonge/je veux écrire/des phrases-témoins ».

Elise Suréna (1956) exprime une franche sensualité : « J’aime les baisers/Rhumpunch/Gourmands/ Aventureux … ».

Kettly Mars (1958), inspiration intimiste et érotique : « La passion est rouge, rouge et mouvante/ elle exulte au cœur de l’été en chute libre ».

Judith Pointejour (née à Chicago en 1969) swingue ses vers : « Tu as divisé l’éclat de pulsations organiques/De John, Miles, Dick & Joe/All the superflies, baby ! ».

Elvire Maurouard (1971), installée en France, sur Toussaint Louverture : « Je me rappelle l’émoi des quatre murs au fort de Joux/devant le délire des Dieux devenus fous ».

Muriel Jassinthe (née au Québec en 1982) interroge  son identité culturelle : « la langue de ma mère/se tord en ma bouche ».

Une mine donc, cette anthologie, avec de surcroit des notices biographiques et une bibliographie sur la littérature d’Haïti ainsi que sur la lutte des femmes de ce pays.

                                                               Geneviève Vidal  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *