Barbara Le Moëne, Femmes barbelées, éditions Voix d’Encre, 2021

Peintres, photographes, écrivains, ont souvent interrogé l’énigme du visage. Est-ce parce que, comme l’écrit Emmanuel Lévinas dans Ethique et infini, « le visage me parle » ?  

Barbara Le Moëne, après avoir vu des photographies de femmes incarcérées- exposition de Bettina Rheims (2014)- pose à son tour cette question : « Que révèle un visage privé de liberté ? » écrit-elle dans le propos liminaire de son dernier recueil: femmes barbelées.

Chaque poème commence par l’évocation d’un cadre contraint auxquelles ces femmes sont confrontées. Ce cadre précise de façon lapidaire et froide la vie au quotidien dans une prison pour femmes.

La suite du poème est approche d’un visage dans ce qu’il semble dire de désirs, de souffrances, de résignation. Ainsi le poème qui suit :

Verrou du haut,

verrou du bas,

bruit métallique des verrous que l’on tire

Qu’un nouvel été monte

une dernière ivresse

un dernier possible

on voudrait le croire

par les chemins mellifères

près la mare où rouir le lin

on voudrait aller

un feu vertical à travers toi

a consumé tout le visage

Page après page, chaque aspect du monde carcéral est évoqué : murs barbelés, miradors, verrous, clés, barreaux aux fenêtres, rétrécissement de l’espace à la cellule. Cet espace est délabré, insalubre, aucune intimité n’y est possible, la surveillance est permanente.

Dans le même temps, on découvre le rétrécissement de l’espace intérieur, l’infantilisation, la soumission, les brimades, humiliations, avec toutes leurs conséquences physiques et psychiques : dédoublement de personnalité, abus de psychotropes, transformation du corps, perte de la notion du temps : « sur la scène du visage/ se joue un théâtre de brutalité. »

Dans l’espace clos du poème il y a affrontement entre l’inhumanité de la prison et l’impensable force de résistance de ces femmes abîmées. Cette résistance, c’est au plus profond d’un désir de vie qu’elle s’enracine, dans une volonté farouche de tenir, de garder sa dignité. Sont convoqués les souvenirs d’enfance heureuse, la nature, bienveillante ou dangereuse : « Au milieu du front/coule une rivière/dans ses sables/ ramasse/un visage.. ».

Barbara Le Moëne interroge en  poète et peintre ces visages de femmes avec une attention extrême et une grande sobriété. Le poème est toujours en tension, fait de détails infimes sur ce que semblent nous dire ces visages. Ainsi la femme mise au mitard poussée au bord de la folie : « moitié du visage/plus folle que l’autre/conte son malheur ».

Malgré tout,  ces femmes tentent de garder leur intégrité : « dans la chiffonnade des traits/se découvre pourtant un noyau dur/petit astre. » ou : « mon rêve/plus dur cependant /que du diamant ».

Plusieurs points de vue aussi sont adoptés comme pour mieux scruter l’énigme de ces visages. Le « je » prend parfois le pas, dernier rempart contre la privation d’identité et de parole : « je fuis sur une étoile, Pierrot lunaire/et sur l’étoile tresse les rayons célestes ».

Quelques monotypes, taillés dans le roc de l’insoutenable, en noir et rouge sombre sur page blanche, font écho aux poèmes en creusant l’abîme d’une quête de «  regard introuvable ».

« du séisme ne reste

que le gouffre du regard

et le sourire ténu

tant et tant qu’il s’altère

tant et tant qu’il se perd

ruisselet dans l’aride ».

Barbara Le Moëne nous donne à lire de beaux textes, rudes, sans concession, qui s’approchent avec un infini respect de ces visages de femmes incarcérées.

                                                                               Chantal Ravel, mai 2021

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