LE GRAND HÊTRE
Le hêtre qui t’a vu grandir, aimer,
t’avancer pas à pas dans l’âge et la parole
et lancer tes fils puis leurs enfants après
dans la vie prodigue et les lointains aimés,
ce grand hêtre que tu sais plus vaste que l’enfance,
voici ses hautes branches, ce matin,
éclairées comme jamais tu ne les avais vues,
toi qui vas quitter ta maison de toujours
et laisser ce grand arbre à d’autres mains
dont tu ne sais le soin, le regard ni la hache.
Éclairées par le matin, elles montent dans la lumière
comme on voit en montagne
les sommets tout frangés de clarté
tandis que l’on marche dans l’ombre des vallées.
Elles montent, mains de l’orant que touche le vent,
montent dans le ciel, échancrées de bleu céleste,
ajourées tendrement pour que l’air vif parvienne
jusqu’au fouillis ombreux—, ainsi parfois,
la caresse du bien aimée au ventre de l’amante,
respiration paisible et terre croisant le ciel.
*
Ô mon arbre de gloire, toi mon souffle paisible,
sois leçon pour ma vie, apprends lui à danser
toi mon enraciné.
Qu’elle soit ombre fraîche et puis secret d’aimer,
qu’elle s’offre tant qu’elle peut à la toute lumière,
au passant démuni comme à l’enfant meurtri,
aux murmures du temps
qui va, de patience en élan et des rameaux glacés
à la splendeur d’octobre comme aux douceurs de mai.
Nous sommes hôtes mon arbre, toi et moi
et tous mêmes qui l’ignorent, de la terre et du ciel,
du Souffle qui les créa un jour d’éternité.
Puisse l’enfant venir et jouer sous tes branches,
qu’il reçoive ainsi la force de ton tronc,
la nuit de tes racines et l’incroyable amour
en qui nous nous tenons.
Sois ma confiance, grand hêtre de gloire,
enseigne-moi toujours les mots de l’espérance:
et dis à ma douleur: «La paix soit avec toi.»
Pascal Riou
Publié dans la Revue Conférence N° 42, Printemps 2016