Choix anthologique de la poésie d’André Rochedy, avec l’autorisation des éditeurs.
Le choix des poèmes a été réalisé par Geneviève Raphanel.
Bêtes à rire et à pleurer, éd. Magnard, 1994 et poche 2001
Hibou qui vois dans le noir
As-tu vu le tamanoir,
L’élan, le loup, la laie, le loir ?
Hibou qui vois dans la nuit
As –tu vu le Mistigri
le gros, le grand, le gras, le gris ?
Hibou n’a rien vu du tout
Hibou a fait les yeux doux
à la chouette d’en dessous.
*
Lorsqu’elle s’est enfuie
la nuit
blessée par la pointe du jour
lorsqu’elle s’est enfuie
la nuit
dans son manteau d’oiseau de velours
Elle a laissé
À la lisière
De la lumière
Une petite chouette
Aux yeux béants de peur
que j’ai rassurée
Dans le noir de mon cœur.
*
L’ogre avait beau manger
par mille et par cent
les tout petits enfants
il avait toujours faim
de tendresse.
*
Mais qui a pris la taupe douce
par la main ?
La taupe de satin
qui l’a conduite vers le matin ?
La taupe qui s’ennuie
qui l’a fait sortir de sa nuit ?
La taupe cachée dans le noir
du matin jusqu’au soir,
la taupe de velours
qui l’a fait monter vers le jour ?
Mais qui a pris la taupe douce
par la main
pour la mener vers la lumière ?
*
Sur les bords du Nil
le crocodile
sourit
Dans ses souliers de cuir verni
le père Noël a mis
deux vraies larmes
de pluie.
*
C’est vrai que j’ai un cœur de pierre
a dit le loup à sa commère
cela me peine et certain jour
j’en ai le cœur
bien lourd.
*
A l’extrême pointe
de l’étoile
du berger
la petite ourse
regardait disparaître le soleil à l’horizon.
« Mère Grande Ourse, Mère Grand,
je ne le vois plus.
-Penche-toi un peu plus
ma chérie ».
Et la petite Ourse
bascula
dans la nuit.
Noctuaire, éd. Chambelland, 1987.
Chaque nuit il marchait
à la lisière du royaume
le vent déliait les collines
la mer entrait aux prairies
des oiseaux parlaient
dans les chambres du rêve
Au chant du coq il glissait
sur le versant de sa peine
dans l’amertume des menthes
*
Descendons au jardin de nuit
perdre nos ombres
ô mon amour
et donner la main à nos songes
Les mensonges laissent aux lisières
leur peau fripée et de serpent
Veiller plus tard que le sommeil
disait la voix si humaine
*
Cette porte verrouillée
où veille la voie
du violoncelle
la nuit la pousse
forte et tendre
l’archet va de l’étoile
à la fleur
et l’ombre ne bouge
suspendue
au chant des mains
jusqu’à l’aube
immortelles
*
Sa voix me tira de l’ombre
où je dormais du sommeil des lierres
et me guida
sur le penchant de l’embellie
dans la miséricorde des bêtes
Les vergers taisaient l’espérance
Au cœur des femmes s’amassaient
cris de sel et de voyage
la joie montait
plus vite que la mer
*
Si lourdes
aux mains de l’espérance
les grappes noires du sureau
Sur le visage unique
tu ramènes la nuit
comme le drap des morts
*
Il n’y eut d’autre signe
que la chute d’un ange
dans un pré d’avoine folle
et les mains furent tachées de lune
par les vergers de sel
les soldats emportaient des madones
maladroit
un enfant repliait son linceul
*
Si périlleuse la traversée du matin
par les herbes humbles
la lumière en toi
comme un cri
enfant perdu dans la gorge des colombes
avant de boire à même l’allégresse vive
tu te sens nu et promis à mourir
*
D’autres yeux
par mes yeux regardent
ouvrent le chant de l’oiseau
habitent la nuit de l’arbre
dérobent le visage innommé
les mains sont nues
de l’enfant d’hier
*
Et celle qui penchée
à la plus haute tour
a vu surgir de l’ombre
les chevaux de lumière
et les Anges jumeaux
berçant un enfant mort
s’étonne de la douceur
de ce jour de colère
et du cri de son âme nue
dépouillée de la peur
*
Tu es dans les yeux
qui tiennent l’ombre
Nomme sans peur
le visage de feuilles
La voix sur les morts
est une aile d’oiseau
Un ange inconnu
partage la douleur
Oh le bruit d’enfance
de la mer qui se fend
Descendre au jardin, Cheyne éditeur, 1987, rééd. 1992 (premier prix des lecteurs lire et faire lire 2003)
Descendre au jardin
pour l’arbre à mémoire,
les feuilles savantes
couchées sur vos mains,
le visage d’ombre
délivré des ronces,
pour le cri posé
sur le toit du ciel.
*
Rien ne bouge au jardin :
Ni l’eau ni la rose
Ni la peur ni le vent
Ni l’ombre appuyée à ton bras.
Toi seul a vu
si haut si haut
à la pointe du tremble
la danse folle des feuilles.
*
« Je veux boire,
je veux manger »,
criait l’enfant en colère.
« Donnez-lui d’abord à rêver »,
dit mon père
*
Parfois s’ouvre une fenêtre
dans la muraille fermée :
Il y vient un visage
grave comme dans les portraits
et dont les yeux vous suivent
jusque dans votre sommeil.
*
La nuit poussera la barrière,
un chien en songe
parlera d’un maître
aux mains bruissantes d’oiseaux.
Dans le champ des étoiles
les enfants glaneront
des poignées de paroles
pour la veillée très longue.
*
L’aveugle traversant le jardin
a chanté une chanson
triste et douce.
Le refrain, je m’en souviens,
disait ainsi :
« Si le malheur frappe à ta porte,
Accueille-le comme un ami. »
*
L’un conduisait son troupeau
lorsque la mer vint le prendre,
l’autre épluchait des châtaignes
près de sa mère vieillie.
Ni femme ni chien
N’ont levé la tête.
il n’y a eu
que la caresse de l’ombre
sur des yeux endormis.
*
Il avait si peur de la nuit
qu’il courut s’abriter
dans le verger
et la nuit le suivait.
Il sauta le ruisseau,
traversa la forêt
et la nuit le touchait.
Il se blottit dans le gîte d’un lièvre.
Tout près, tout près,
la nuit contre lui tremblait.
Il s’enferma dans le bleu d’une étoile,
dans le cri d’une effraie
et tendrement la nuit l’embrassait.
Alors, il ferma les yeux à demi
et la nuit fut en lui.
*
A Christophe
Ils auront beau
peindre des sens interdits,
élever des barrières,
planter des barbelés
et murer leurs frontières,
après chaque traversée de nuit,
mon enfant voyageur,
tu entreras dans l’aube
ta vraie patrie.
*
ces visages qui tremblent
aux miroirs des fontaines
ne les cache pas
ne les nomme pas
ne les oublie pas.
*
A Laurence
Dans la gorge des oiseaux
il y a des mots
qui roulent
rouges et doux
comme des soleils
d’extrême-enfance.
D’un passage d’oiseaux, l’arbre à paroles, 1990, rééd 2005.
Les images sur l’eau
sont l’enfance
des îles
*
Il ne faut pas avoir peur
les images s’échappent
des paupières de cendres
l’herbe folle avance
vers sa guérison
Celle qui porte l’eau
s’allège de son âge
Dans la voix nue des amants
le jasmin se glisse
comme un voleur
On tient le temps aux frontières
*
Haute chambre du soir
où le silence monte
comme une fumée bleue
l’âme est seule
un ange replie
l’échelle de lumière
*
un visage se penche
sur l’eau vivante du sommeil
et c’est tant de douceur
pour l’homme qui repose
le front contre le ciel
ce regard que perdit la mémoire
en amont de la première blessure
*
Nomme le monde en sa lumière
quand le jour est sans hâte
derrière l’eau du feuillage
Dérive lente du désir
Les voix se posent ensemble
comme un couple d’oiseaux
*
Un verger glissait vers le soir
des pas s’inventaient leur neige
à distance des dieux
Dans les villages
quelqu’un mourait
pour sauver l’aube
*
Et maintenant
seul
parmi ses gisements d’étoiles
le découvreur
aux gestes de fable
Mains pauvres
tenant très haut la lampe
pour les voyageurs
des étroites vallées
*
à voix basse
désormais
les saisons deviennent immenses
la mer remue
dans les salles du palais
Ombres sur la parole
un soleil s’achève
la nuit déjà
touche à la nuit
*
Ce sont enfants perdus
Ils dorment sans visage
les chemins descendent
au fond des puits
les caves regorgent d’étoiles
ils dorment
le visage enfoncé
dans la nuit
Ce sont enfants perdus
Qu’un bruit de source
rend à leur terre
*
Entre la vague et nous
les falaises de l’absence
le cœur a versé
dans l’azur des chemins
le cyprès délivré
brûle un ciel de visages
et c’est comme un souffle
de femme endormie
cette mer qui respire
en la chambre étrangère
presque au bord de nos mains
Fils du soleil, l’arbre à paroles, 1991
Les poètes de sept ans
dans le grenier des maisons seules,
allongés au milieu
des pommes éternelles,
ferment les yeux pour voir
ce que voient les aveugles.
*
Et soudain il a peur.
De son regard naissent
tant de merveilles.
-Si les mots ne pouvaient
les nommer ?-
Alors il s’enfonce
dans la forge éclatante
où il va marteler
une langue-soleil.
Pluie d’or
sur les mendiants de paroles
perdus dans l’arbre
des constellations.
*
L’étoile monte
dans le ciel paisible
comme un oiseau de joie.
Il faut partir,
les routes sont blanches,
le monde va s’ouvrir,
il suffit d’avancer.
*
Qui n’a jamais marché
au chant du coq
sur la route
encore poudrée d’étoiles,
qui n’a jamais senti
sous ses pieds nus
frémir le chemin
comme chevreau de fête,
celui-là ne sait pas
qu’aux secrets chercheurs d’aube
le monde et promesse.
*
Si haut,
le jour est source bleue.
les danseurs aux couronnes de flammes
éveillent les vieux royaumes,
un ciel enfant
étrenne ses oiseaux de fête,
la joie va lentement
entre l’ombre et l’éclair.
C’est en fils du soleil
qu’il entre aux villes blanches,
libre, humble, vainqueur.
*
Il est tombé comme un ange
ou comme l’oiseau vertical
que désigna la foudre.
Il se traine à genoux
dans le pré d’herbe pauvre
où les mots triomphants
sont des soleils éteints
et c’est en vain qu’il appelle
par leur nom de lumière
ses constellations,
sa langue s’est faite étrangère,
il parle à présent
à voix d’exilé.
*
Voilà rendu l’enfant prodigue
à son pays de faim.
La beauté peut-elle mentir
et la mémoire du soleil ?
Ô infinie patience !
Ô mains de paysan !
Il a couché les mots en terre,
les vraies défaites sont de demain.
Dès l’aube il gravira
la montagne de cendres
jusqu’à l’aigle en majesté.
A l’arbre mort il naîtra
des bourgeons de feu tendre;
sur le versant
le monde recommence,
la vraie vie est de l’autre côté.
*
Ils ont assis leur vie
sur des chaises de plage
ou des trônes de cuir
le long de la rue des saisons.
Ils regardent sévères
le voyageur qui passe
cherchant le gué de l’horizon
et condamnent son air
d’immortelle jeunesse.
Ils ne savent pas que partir
c’est laisser son âge
aux buissons de la route
comme une vieille peau d’hiver.
*
Maintenant,
il quitte les plages d’Europe
comme un homme
qui a fini sa journée.
Le désert l’enferme
En son chant de sel
et de flammes,
Ô l’œil unique du geôlier !
Les soirs visités de mirages,
il longe la flaque noire
où vogue incertain
le bateau de l’enfance.
*
Il ne nous a pas quittés.
Du fond de l’hiver
Il vient
près de nos vitres aveugles
et sous son souffle s’envole
leur broderie de gel.
Échappée d’infini
où quelques-uns veillent
comme aux plus hautes fenêtres.
Par le violet des roses, Cheyne éditeur, 1992
Bâtisseurs pacifiques étageant dans les siècles au flan des vallées d’innombrables terrasses comme des marches vers le ciel.
Qui se souvient du pas des dieux ?
*
Une vie à attendre la fonte des neiges et la levée des seigles, la venue des jonquilles et des enfants. Une vie à attendre que recule la fatigue, que l’ombre du tilleul couvre la cour, le toit, le cœur.
*
Assise devant l’hiver, l’aïeule ne regardait plus tomber la neige. Un calme cheminement la menait en elle jusqu’à la chambre où il fait bleu.
*
Voyageurs immobiles que la lumière changeante porte jusqu’à l’horizon et qui, au seuil de l’ombre, tournant vers nous leur pauvre sourire, disent si bas qu’ils nous aimaient.
*
Et maintenant que tombe la nuit, nous sommes pareils à ceux qui n’ont plus de nouvelles et qui laissent ouverte la porte de leur maison.
*
Du même pas, les bêtes et l’homme s’en retournaient à leur maison. Une femme couchait les draps blancs dans le pré. Doucement s’éloignaient les lisières.
En attente, les seigles du soir.
*
Ce fut ainsi vers le couchant : l’invisible approché par le violet des roses et le chant pauvre de l’eau.
*
Un battement de paupières, la frontière était traversée et c’était comme en rêve la marche vers l’autre versant.
*
L’eau du soir garde les visages.
Comme la lumière ils ne vieilliront pas.
L’homme descend du songe, les petits bleus du buisson ardent, 1992
Toujours le martin prêcheur sermonne l’oiseau souche
*
Le bouc émissaire ne meurt jamais en odeur de sainteté.
La brebis galeuse doit garder ses boutons.
Même le plus têtu peut trouver l’âne sœur.
*
Pour faire le tour du bonheur, ralentir dans les virages.
Les vrais amoureux se jettent de la foudre aux yeux.
Il fait vraiment la paix celui qui fond en armes.
*
Si tu tiens à ta peau, jamais tu ne mueras.
Les orphelins rêvent dans la salle des papas perdus.
Le grand méchant laid casse toujours du sucre sur le beau.
Le chant de l’oiseleur, Cheyne éditeur, 1993, rééd 1999
Et maintenant
tu entres dans le matin
comme dans l’eau de la rivière.
L’herbe et encore nue,
un peuplier veille
ses paroles fragiles,
une colombe monte aux fontaines
à longs cris de douceur.
*
Heureux celui qui
de l’aube ne garde
au fond de lui
qu’un peu de bleu,
laissant glisser la lumière
sur le monde
après l’avoir un instant
retenue dans ces yeux.
*
Hérisson, hérisson,
petit frère,
celui qui jamais n’a connu
le velours de ton ventre
ne sait rien de l’univers.
*
C’est de ta soif
que naît la source.
Ainsi commença la mer.
*
Il ne dira rien
du vol inexplicable
celui qui revient
de la patrie des oiseaux.
En lui cette lumière
dont va durer le jour.
*
Ainsi toutes choses voyagent,
les yeux, les ailes,
l’arbre, le vent,
les vieux soleil
qui montent vers leur enfance
et dans son clos d’abeilles
l’homme immobile
qu’emmènent les saisons.
Dans la mémoire du jour, l’arbre à paroles, 1996
Corps si lourds d’être perdus dans l’herbe haute. L’un après l’autre, ils quittent leur maison et c’est comme s’il n’existait plus de leur passage que la trace d’un appel au bord du silence, le poli au manche de leur faulx.
*
Et moi je viens à vous comme celui qui ne sait plus le nom de son pays. Avec les chevaux s’enfuient les rivières, il n’est jamais monté tant d’étoiles de la mer. Les amis se sont perdus dans l’or du sommeil.
*
En plein ciel l’oiseau se fige comme le dormeur regardé par le froid. Corps radieux mangé de cris, la barque sombre où le bleu se divise. On couvre la mort d’un drap d’enfant.
*
Ciel recousu de paroles fraîches. Un agneau veille le feu volé. Celui qui revient de l’orage désarme les ténèbres, les hommes se souviennent de leur nom secret.
*
L’oiseau traversa la chambre de neige.
Ainsi nous eûmes nouvelles de l’amandier.
*
La lumière invente ses chemins. Au verger, toutes choses légères. L’enfant revient d’un royaume profond.
Souffle doré dans le feuillage, le monde repose sur un chant d’oiseau.
*
Les jours s’en vont en couleurs calmes, une aile de pluie frôle le jardin et c’est comme un silence à l’orée du voyage où le monde retrouve son visage secret.
*
Le bleu du seuil, le geste de l’offrande. Sur la nuit l’image en majesté. Ce qui a disparu ayant brillé si vite. Ce qui dans l’air a vibré.
Ce peu qui nous sauve.
Chants de la traversée, l’arbre à paroles, 1999
Soir tatoué d’ailes rouges et blanches. Des lampes courent dans la forêt. On ne sait pas ce qui menace ou protège.
Il suffirait d’un repas de côté pour que le chant soit de cendre ou de neige.
*
Au miroir dormant, l’ombre creuse un silence sauvage. On dit qu’il y a des portes qui s’ouvrent sur la mer et qu’en la chambre haute d’enfance, les mots sans patrie délivrent les soleils.
*
Il ne restait qu’une fontaine au fond du jour défleuri et cet oiseau de passage dont battait si fort le cœur.
Fuyant le long des étables, quelqu’un cherchait sa patrie.
*
On ne s’était pas aperçu que le temps glissait comme l’eau d’un fleuve, portant toute chose vers l’extrême couchant et on aurait tellement voulu rejoindre la rive où l’on voyait parfois courir un enfant, dans la lumière d’éternité.
*
Et l’ange qu’ils avaient cloué sur la porte d’une étable les regardait avec une tendresse si espiègle, que ceux qui s’apprêtaient à lui jeter des pierres les laissèrent tomber de saisissement. D’autres, fous de rage, visant le front, lancèrent leur pavé mais soudain s’effaça la tête rayonnante et c’était leur propre visage que les bourreaux écrasaient.
*
On ne savait pas, dans la grande crue du sommeil, jusqu’où serait emportée notre âme et quelle voix nous redonnerait visage quand remonteraient nos ombres noyées.
*
Quelle image établir au cœur des ténèbres et quelle enfance de fontaine pour que la mort, d’un coup, retrouve un visage ?
*
Pour André Schmitz,
C’est une voix dans le jardin. A la fois proche et lointaine, familière et inconnue. On ne sait pas si elle vient de l’eau ou du bleu léger de l’air. Elle ne dit rien. C’est comme un chant, un temps infini de règne.
*
On ne voit pas le visage mais il est proche, à peine caché par un pli de silence. Viens, entre dans la chambre obscure avec le ciel de tous tes oiseaux et ton amour qui tremble.
Les petites merveilles, l’arbre à paroles, 1999
Le joli mois de mai, les petits enfants épellent les premiers mots du cerisier.
*
Rien, ni or ni argent, mais au creux de la main un galet fou de caresses.
*
L’instant doré où tu offres au vent le cerf-volant ébloui.
*
Matin bleu. Les mains comme un nid pour la joie toute ronde.
*
Le coquillage où l’on entend le chant de la mer et la voix des amis.
*
Au bois dormant, un peuplier, tout à coup, parle à voix de rivière.
*
L’heure entre chien et loup, prendre par la main l’ombre et la lumière.
*
Petits riens comme pierres plates pour traverser la vie et la rivière à gué.
Dans la main du vent suivi de L’ange, la nuit, Voix d’encre, 1999
Devant le beau visage
du matin,
l’enfant égrenait
des silences.
*
Ne coulera jamais
au fond de la nuit
celle qui, sur son épaule,
porte son enfant de sommeil.
*
parfois, le vent
apporte des paroles
qui nous rappellent
une langue oubliée.
*
Laissons le temps
s’essouffler
dans le jardin du monde,
un seul chant d’oiseau
établit l’éternel.
*
Et puis
il y aura
le grand saut
dans la nuit,
nous ne ferons
pas plus de bruit
qu’un petit corps
de plumes passant
dans les branches.
*
Et maintenant,
devant le ciel immense,
nous nous souvenons
des petits frères perdus
dans la nuit ronde
et des bleuets
en pente douce.
La brise emmène
tendrement les oiseaux,
les îles dansent
leur enfance éblouie.
Jamais ne finit le voyage.
*
Et cette fille à la fenêtre dont l’ombre s’échappa comme une enfant d’été, qui lui dira les mots de la violette et le songe éperdu des vieux tilleuls aux bras levés ?
*
Une nuit d’été, il y eut un grand ciel de visages, le firmament, vertigineusement, se rapprochait et une foule innombrable se pressa sur les collines dominant la mer.
Ce fut un garçon qui cria le premier :
« c’est moi ! C’est bien moi, j’en suis sûr, je me reconnais ! »
Il se fit alors une immense paix, chacun cherchant son vrai visage, son visage oublié, le cœur battant comme au bord de la merveille.
Puis une femme tendit les mains, un visage venait à elle ainsi que barque lente et ce visage était le sien. Il en fut ainsi pour tous ceux qui attendaient sur la grève.
Et c’était comme si l’enfance leur était rendue, comme s’ils retrouvaient leur place dans la danse infinie des jours et des étoiles.
Ne resta sur le sable qu’une petite fille cachant de ses mains son visage absent et dont le silence fit trembler la terre.
*
Avez-vous entendu, les nuits de grand gel, ce bruit de pas de l’autre côté du monde ?
*
C’est peut-être en songe, nuit immobile, chambre aux murs blancs. Une femme se penche sur le silence comme au-dessus d’un puits et fait le geste des enfants graves qui jettent des pierres dans l’eau changeante pour écouter la voix très noire et ses échos hallucinés.
*
La face de la mort, on la tournera vers le miroir du fleuve.
Elle ne verra rien qu’un grand trou dans la nuit, elle qui s’est inventé un visage d’enfance.
*
Poser les mains sur le visage comme sur un jeune ciel, pour l’infinie présence, l’énigme et le silence léger.
Règne, Tétras Lyre, 1999
Saurons-nous lier nos âmes
Comme tiges d’osier,
Dit l’amante à l’aimé ?
*
Ainsi les mains du peintre
Qui tendrement retiennent
Les signes au bord de l’ascension.
*
C’était une saison
Où les roses et les mots
S’ouvraient ensemble.
L’enfant du songe, l’arbre à paroles, 2001
Le cerisier remontait
la rue des dimanches,
une femme recousait le vent,
les choses venaient
comme une neige lente.
Quelqu’un parlait en nous.
*
C’était vers le couchant,
La rivière prêtait sa voix aux feuillages,
les mésanges brassaient
les couleurs du sommeil,
un souffle léger berçait le silence.
Et doucement venait
l’enfant du plus beau songe.
*
Et celui qui revient
aux premiers oiseaux de sa vie,
à la tendresse du vent,
aux présages des sources,
entre sans bruit dans son enfance
et donne son chant nu en partage.
*
Dis à ton cœur
de ne pas battre si vite,
les lilas blancs surgiront des ténèbres
et il se fera un grand calme clair.
*
Vous en souviendrez-vous ?
les heures glissaient
dans leur berceau de lumière,
la barque descendait les saisons,
les bleuets surgissaient
dans les miroirs de l’aube,
un chant de règne délivrait les ombres.
Et quelle allégresse
pour ceux qui avaient marché
loin !
*
La mort ne rôde pas
aux pays des fontaines,
le vent fidèle
garde les frontières.
Et dans le noisetier,
il y a un enfant qui rit.
*
Marelle tracée
à la craie blanche et rose
par une main d’enfant,
la première pluie l’effacera.
Ainsi nos voix, ainsi nos ombres.
*
Un cri nocturne
efface les frontières,
le fleuve emmène
les couleurs, les visages.
On ne fermera pas
les yeux de la lumière,
peut-être aurons-nous
appris à mourir ?
*
Un cheval doux
passe dans l’automne,
nous nous en souviendrons
quand il faudra partir.
Ma maison, c’est la nuit, Cheyne éditeur, 2002
Elle sait le feu, l’ombre qui bouge dans l’image, la neige par des doigts d’enfant dépliée. Elle dit qu’il faut garder un lys pour l’orage. Elle dit qu’en son pays les arbres regardent loin.
*
Il suffisait de tendre la main vers le buisson de roses pour qu’une autre main, plus légère, s’y pose, la prenne.
*
Soir de juin. Comme une petite fille espiègle, elle veut boire à même la lumière et ne sait pas que le monde, un instant, a tremblé au creux de ses mains.
*
Sans hâte, elle revient de la nuit et du haut de l’arche balancée, elle regarde rouler le soleil dans les jardins ouvriers.
*
Il fait nuit noire. Elle veille dans la chambre immense, un enfant vient d’appeler. « J’ai peur de mourir, dit la petite voix, cache-moi dans tes yeux. »
*
De ses mains qui dansent, elle tisse une à une les secondes de silence.
C’est sa manière à elle de tirer la langue au temps.
*
Tu sais, si tu m’oublies, tu ne reconnaîtras plus jamais ton visage.
*
Du fond de ses rêves, un mot surgissait comme un oiseau qui cherche le soleil.
Elle entendait jouer à la corde à sauter.
*
« Ne crois pas que la mort sommeille, dit-elle, même si elle penche un peu la tête et cache ses yeux. La mort ne dort jamais. »
Des étoiles dans mon sac à pain, in Au jardin des poèmes, La petite maison de poésie, 2002 (prix de la jeunesse)
Un miracle frappa à ma porte
Je le fis entrer :
il réclama du thé,
une chaise supplémentaire
pour ses vieilles jambes…
Et il s’endormit là,
jusqu’à ce que des marguerites
lui téléphonent
qu’elles avaient bien retrouvé
le paradis.
*
Elle marche pieds nus
dans les herbes hautes du temps,
la petite fille qui pousse une à une
les portes de la mémoire.
*
Deux petits cailloux blancs :
cela suffit
pour une étincelle
*
J’ai mis ma tête
sur mon chapeau
haut de forme
et je me suis cogné
à la première étoile.
*
Quand l’écolier s’attarde
à regarder l’oiseau voler,
c’est le chemin
qui bat des ailes !
*
Assis au bord de la rivière,
l’arbre et le vieil homme
voyagent
plus loin que le souvenir.
Les petites peurs, l’arbre à paroles, 2007
Peur de la main de l’ogre quand je laisse pendre la mienne hors du lit.
*
Peur que la chair de poule me fasse froid dans le dos.
Peur du vent du nord quand il vous fait la bise.
*
Peur du vent qui a appris mon nom.
*
Peur que le hérisson se glisse dans mes draps pour faire des travaux d’aiguille.
*
Peur quand je cherche la petite bête de tomber sur une grosse.
Peur, si d’effroi mes cheveux se dressent sur la tête, d’être coiffé comme un huron.
*
Peur que le miroir emporte mon visage de l’autre côté.
*
Peur que l’on aille me perdre dans la forêt sous la lune édentée.
Peur des yeux inconnus qui entrent à pas de loup dans mon sommeil.
*
Peur, en me perdant dans mes songes, de ne pas trouver la sortie.
Chant à deux voix sur la cène de Kijno, inédit co-écrit avec Geneviève Raphanel
Nuit. Nuit jusqu’aux os. Bouche noire fouillant le cœur. Vergers brûlés de ténèbres. Forme d’archers et d’oiseaux. On crie dans les campagnes. Soldats clouant aux portes des étables femmes douces de lait. Voici l’heure où le masque dévore le visage. Une main aux doigts de cuir retourne les morts. Qui délivrera de leur antre les chiens de la peur ?
Meute hallucinée et son souffle de cendres. Ordres. Cliquetis d’armes. Mufles sur les berceaux. Jamais ne fut perdue la trace depuis la nuit des Innocents. Crocs silencieux autour du village. Celui que l’on cherche a dormi sous le figuier. Dans les yeux d’une mère, l’ombre s’élargit comme une tache de sang. A voix basse un homme dit : «je ne serai plus longtemps avec vous. »
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Visages levés d’entre les ombres. Yeux dévorants. Le silence resserre ses mains très noires. Arbre en neige, jusqu’aux plus hautes branches sève de douleur. Qui marcha sur le lac s’éloigne en eau profonde. Précipitée dans le puits l’étoile jonglée en si douces paumes.
Songe cruel aux salves de lueur. Sur un voile s’inscrit la femme torturée. Fous enragés à tresser leurs épines. Femmes. Ô femmes. La haine hurle aux yeux des chiens. Les chasseurs soufflettent le lys. A déchirer l’azur, mâchoires affairées. Le rire fraye un chemin à la muette lame. Ô chair mordue de barbelés, la mort va ceindre la couronne.
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Dans le ciel tourne, immense, la roue des suppliciés. Les petits de la morte ont visages d’icône. Astres garrottés par des cordes de chair. L’épée ouvre le rêve comme un ventre de mère. La folie se vêt de limon. Du fond des âges, un homme vient qui porte au flanc plaies de lumière. Sur son passage, tout un peuple s’arrache aux trous de la nuit et se dresse, terrible de douceur. Ensemble, ils lèvent leurs mains percées.
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Il dit : « Mes petits-enfants » et les habille de matin. Suspendue la fuite du sablier. L’un après l’autre il les regarde. Yeux dans les yeux maintenant et toujours. Une très ancienne douceur dont tressaillent les pierres. Voix qui donne paix, mots qui font silence, semblables aux ailes qui passent sur le visage des dormants. Vertigineusement s’ouvre un espace de faim. Ainsi s’allument les lointains de l’âme.
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Maintenant il rompt le pain, en donne à chacun une part. Il prend le vin, le bénit et dit les paroles qui remplissent d’effroi : « mangez et buvez, ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Foudre. Une flamme embrase les astres. Ame jetée au plus haut de la lave, un vent de folie soulève l’univers. A cet amour démesuré qui s’ouvrirait sans épouvante ? Ce qui cheminait dans la criée des siècles, ce que, grondant de joie, charriaient les soleils, ce que soufflait l’oracle à l’arbre en prière, un père, ce soir, le dit à ses enfants.
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En lui, le bien-aimé, yeux clos sur l’épaule du Maître, tout entier il repose dans la blancheur et le silence est sur ses lèvres et le chant est en son cœur. Comme un enfant il s’abandonne à si folle tendresse qui se rit de la faulx. Un souffle ébloui gouverne toute chose. Neige ouvrant neige et moelle de la neige et sommeil de lys. L’espérance niche dans l’œil du naufrage, les jours ne seront pas rendus au chaos, la colombe viendra lancer le feu de connaissance et, en mémoire de celui qui les aima jusqu’à l’extrême, les fils rediront les paroles de faim.