« Ouvrir les yeux, regarder fort les choses, les scruter, demande qu’en retour de leur patience on en parle, on les nomme, on en rende compte de façon juste. D’où ce balbutiement qui est ma façon de rendre justice à la fascination qu’elles exercent sur moi.
La plupart des choses que j’ai faites et aimé faire – l’enseignement des lettres, la présidence d’une Maison de poésie, l’animation d’ateliers d’écriture et la recherche à ce propos jusqu’à la thèse et des articles dans des revues scientifiques, m’ont amenée à cette écriture – en fait m’ont éloignée de l’écriture d’un point de vue pratique en absorbant mon temps mon énergie ma passion et j’ai même cru m’y perdre – mais pour m’y ramener, autrement. » Christine Duminy-Sauzeau.
Membre du collectif Écrits/Studio depuis 2017.
Publications
Des choses simples, Zinzinules éditions, Photographies de Géraldine Dubois, 2019.
En ce petit matin de nuit, gravures de Marc Granier, Éditions Les Monteils, 2019.
Des choses à faire avant de mourir, Collages de C & C Ballaré, Éditions Drosera, 2020.
Le vert des citrons, gravures de Marc Granier, Éditions Les Monteils, 2021.
Arbres d’hiver, photographies Géraldine Dubois, Zinzinules éditions, 2022.
Pluie, gravures de Catherine Liégeois, Atelier Catherine Liégeois, 2023.
Mon confinement à moi, Éditions Drosera,2023.
Il pleut debout, pensées diurnes, pensées nocturnes, Atelier du Hanneton, 2023.
GPS et autres pièces sonores, Gros textes,2023.
Bribes d’enfance, Atelier Catherine Liégeois, collection points de vue, 2023.
Revue
KOnstipation, Sans titre, in Farandole-Far’n’doll, Bacchanales n°66, 2022.
Ouvrage collectif
Drapeaux, in Plus de cent frontières, une anthologie, éditions pourquoi viens-tu si tard, 2023.
Textes choisis :
Des choses simples
J’ai envie d’écrire des choses toute simples, comme le papier peint de ma chambre : des feuilles vertes, de toute petites feuilles vertes deux par deux accrochées, accolées plutôt, l’une à l’autre. Délicatement. L’une d’entre elles est légèrement plus grande et elle vient se poser, en se cambrant, à l’endroit précis où l’autre devient tige en s’amincissant à l’extrême. Est-ce que vous voyez cela ? Une petite feuille dont l’ovale, à peine arrondi en haut – comme l’est une goutte d’eau – s’étire, se tend en arrière et s’efface en mourant dans la tige, un peu comme la trace d’un pinceau que l’on relève vivement une fois accompli le geste. Sa jumelle est calme. C’est elle qui donne à l’ensemble cet air paisible – à l’autre la vigueur et la vivacité. Mais on la sent aussi plus indépendante. Même, un léger déhanchement à la base laisse entendre un imperceptible glissement qui l’éloignerait de cette autre vive juste à l’instant où elle la rejoint. Elle est courbée, tendue par son effort de fuite mais l’autre a fait si vite que l’évasive ne pourrait mieux faire que de l’entraîner avec elle. C’est pourquoi elle se cambre, déséquilibrée, au moment où sa pointe effilée touche à peine la tige ténue. Mais elle la touche, et elles sont unies à jamais dans un mouvement immobile.
De simples petites feuilles vertes, mais des milliers, sur un fond blanc.
Livre d’artiste – 2019 – Photographies de Géraldine Dubois – Zinzinules éditions
Pluie
La pluie, je la sens venir : quelque chose dans l’air se transforme et soudain la vue s’aiguise, chaque chose prend corps et se rapproche de façon sensible, presque à la toucher…
alors que l’on perçoit au fond des narines cette odeur d’ozone si caractéristique.
Et je retiens mon souffle…
l’air s’opacifie peu à peu
à petits pas…
la pluie est là !
Les gouttes volètent : une sur le cil – un vibrato de chat ourle ta paupière – une sur les lèvres – tire la langue – une sur la joue – tends la main… puis elles s’écrasent, de plus en plus lourdes
j’accélère le pas…
il pleut de plus en plus fort
tellement fort que j’éclate de rire !
La regarder l’écouter la sentir qui t’enveloppe t’emballe t’empaquette t’emporte
plus rien d’autre n’existe
c’est ça qui t’arrive
là
maintenant…
et toi tu te laisses faire, délicieusement vaincue.[…]
Pluie (p.1/4) Livre d’artiste, gravures de Catherine Liégeois – 2023 -Atelier Catherine Liégeois
Arbres en hiver
Parmi les arbres d’hiver je suis entrée
Pas de couleurs – juste la lueur laiteuse qui les baigne
Pas de bruit – mais je les entends à travers leur silence Chuchotis Conversations mutiques
Leurs branches jonchent l’espace barrent l’horizon S’y substituent Horizontalité sans horizon jamais
Elles se penchent s’éloignent se rapprochent mais sans se confondre Enchevêtrement patient Chronophotographique
Dépouillées de leurs feuilles Quand la chute ? – L’enfant les leur a tendues en vain. Quelques-unes, vidées de leur substance, s’accrochent par habitude – folie aussi – Miment des bourgeons des insectes – grouillements – Se font passer pour des fleurs des oiseaux Aucun mouvement – juste une métamorphose qui n’engendre aucun geste Pantomime minérale
Comment font les arbres pour trouver leur chemin ? Leurs branches pénètrent l’espace, Zébrures griffures Paraphes Écritures hâtives Tracent des routes célestes Vertical vertige
Alors une fine résille se déploie en crinoline s’auréole s’élève et rejoint le ciel – Tout presque
Âme des arbres Personne ici pour parler à leur pureté confondante
Juste un regard qui l’a saisie
À partir du livret éponyme des photographies de Géraldine Dubois – 2022 – Zinzinules éditions
Rangement
Le rangement, c’est quand le temps rencontre l’espace Le temps immense qui s’étire et s’élance en vagues successives et ça fait des gerbes d’écume Je la recueille à pleins bras MAIS ÇA RENTRE PAS DANS LES BOITES non, ça rentre pas Au début tu en trouves des boîtes Elles veulent bien s’aligner les unes à côté des autres et même ça fait joli Oui Et puis tu peux ajouter des étagères et puis bon un peu les boîtes sous les lits sous les canapés Mais c’est après que ça se complique Quand tu te dis ça rentre plus Cette boîte, là Choc Violence du choc Le rangement, c’est quand le temps heurte l’espace Cherche à y inscrire ses traces Rangement Range Ment Faire semblant qu’il ne s’est rien passé, rien du tout, que ça comptait pour du beurre Faire croire que tout est au carré, classé, mort Alors que tout est en ébullition Je mens quand je range Je meurs aussi Lutte lutte pour que ça rentre Jette jette Les piles s’écroulent Jette jette encore A la benne à la benne Faut que ça parte Qu’est-ce que ça fait encore là Tu vois pas tout ça Tu vois pas Regarde mais regarde
Moi je rêve que tout rentre même ma collection de Télérama depuis le premier numéro et ça s’entasse et ça me tient chaud […]
Extrait de Rangement in « GPS et autres pièces sonores » 2023 Gros-textes
Le vert des citrons
Je buvais mon café dans la véranda, contre le citronnier que nous avions mis à l’abri pour l’hiver. Me parvenait du saule proche le chant d’un oiseau, que je reconnaissais sans arriver à l’identifier toutefois. « Pourtant oui, cet oiseau je le connais, je l’ai déjà entendu, je connais ce chant » et, tournant la tête j’ai perçu – niché dans mon écharpe de laine contre ma joue – le parfum d’Hélène, une amie de vingt ans – comme elle me l’a rappelé en riant après m’avoir serrée dans ses bras – cela, joint au vert des citrons en train de mûrir, au picotement de leurs feuilles contre mon bras nu et au goût profond du café si longtemps attendu, oui, toutes ces sensations se sont mêlées, superposées, comme autant d’événements peuvent se mêler pour créer de la durée dans ce que l’on appelle – si justement en théorie mais en l’occurrence si improprement – l’im-parfait puisque ce moment précis s’approchait de la perfection …
« Tiens, je ne suis pas allé relever le courrier » dit mon conjoint se levant soudain…
Et moi de lui répondre, après un silence qui commençait à devenir trop long « reviens vite ! »
Livre d’artiste, Gravures de Marc Granier – 2021 – Editions Les Monteils
Il pleut debout !
Il pleut debout ! pensées diurnes, pensées nocturnes – 2023 – Atelier du Hanneton pp 46-47