Christine Duminy-Sauzeau

« Ouvrir les yeux, regarder fort les choses, les scruter, demande qu’en retour de leur patience on en parle, on les nomme, on en rende compte de façon juste. D’où ce balbutiement qui est ma façon de rendre justice à la fascination qu’elles exercent sur moi.

La plupart des choses que j’ai faites et aimé faire – l’enseignement des lettres, la présidence d’une Maison de poésie, l’animation d’ateliers d’écriture et la recherche à ce propos jusqu’à la thèse et des articles dans des revues scientifiques, m’ont amenée à cette écriture – en fait m’ont éloignée de l’écriture d’un point de vue pratique en absorbant mon temps mon énergie ma passion et j’ai même cru m’y perdre – mais pour m’y ramener, autrement. » Christine Duminy-Sauzeau.

Membre du collectif Écrits/Studio depuis 2017.

Publications

Des choses simples, Zinzinules éditions, Photographies de Géraldine Dubois, 2019.

En ce petit matin de nuit, gravures de Marc Granier, Éditions Les Monteils, 2019.

Des choses à faire avant de mourir, Collages de C & C Ballaré, Éditions Drosera, 2020.

Le vert des citrons, gravures de Marc Granier, Éditions Les Monteils, 2021.

Arbres d’hiver, photographies Géraldine Dubois, Zinzinules éditions, 2022.

Pluie, gravures de Catherine Liégeois, Atelier Catherine Liégeois, 2023.

Mon confinement à moi, Éditions Drosera,2023.

Il pleut debout, pensées diurnes, pensées nocturnes, Atelier du Hanneton, 2023.

GPS et autres pièces sonores, Gros textes,2023.

Bribes d’enfance, Atelier Catherine Liégeois, collection points de vue, 2023.

Revue

KOnstipation, Sans titre, in Farandole-Far’n’doll, Bacchanales n°66, 2022.

Ouvrage collectif

Drapeaux, in Plus de cent frontières, une anthologie, éditions pourquoi viens-tu si tard, 2023.

Christine Duminy-Sauzeau

Textes choisis :

Des choses simples

J’ai envie d’écrire des choses toute simples, comme le papier peint de ma chambre : des feuilles vertes, de toute petites feuilles vertes deux par deux accrochées, accolées plutôt, l’une à l’autre. Délicatement. L’une d’entre elles est légèrement plus grande et elle vient se poser, en se cambrant, à l’endroit précis où l’autre devient tige en s’amincissant à l’extrême. Est-ce que vous voyez cela ? Une petite feuille dont l’ovale, à peine arrondi en haut – comme l’est une goutte d’eau – s’étire, se tend en arrière et s’efface en mourant dans la tige, un peu comme la trace d’un pinceau que l’on relève vivement une fois accompli le geste. Sa jumelle est calme. C’est elle qui donne à l’ensemble cet air paisible – à l’autre la vigueur et la vivacité. Mais on la sent aussi plus indépendante. Même, un léger déhanchement à la base laisse entendre un imperceptible glissement qui l’éloignerait de cette autre vive juste à l’instant où elle la rejoint. Elle est courbée, tendue par son effort de fuite mais l’autre a fait si vite que l’évasive ne pourrait mieux faire que de l’entraîner avec elle. C’est pourquoi elle se cambre, déséquilibrée, au moment où sa pointe effilée touche à peine la tige ténue. Mais elle la touche, et elles sont unies à jamais dans un mouvement immobile.

De simples petites feuilles vertes, mais des milliers, sur un fond blanc.

Livre d’artiste – 2019 – Photographies de Géraldine Dubois – Zinzinules éditions

Pluie

La pluie, je la sens venir : quelque chose dans l’air se transforme et soudain la vue s’aiguise, chaque chose prend corps et se rapproche de façon sensible, presque à la toucher…

alors que l’on perçoit au fond des narines cette odeur d’ozone si caractéristique.

Et je retiens mon souffle…

l’air s’opacifie peu à peu

à petits pas…

la pluie est là !

Les gouttes volètent : une sur le cil – un vibrato de chat ourle ta paupière – une sur les lèvres – tire la langue – une sur la joue – tends la main… puis elles s’écrasent, de plus en plus lourdes

j’accélère le pas…

il pleut de plus en plus fort

tellement fort que j’éclate de rire !

La regarder l’écouter la sentir qui t’enveloppe t’emballe t’empaquette t’emporte

plus rien d’autre n’existe

c’est ça qui t’arrive

maintenant…

et toi tu te laisses faire, délicieusement vaincue.[…]

Pluie (p.1/4) Livre d’artiste, gravures de Catherine Liégeois – 2023 -Atelier Catherine Liégeois

Arbres en hiver

Parmi les arbres d’hiver je suis entrée

Pas de couleurs – juste la lueur laiteuse qui les baigne

Pas de bruit – mais je les entends à travers leur silence Chuchotis Conversations mutiques

Leurs branches jonchent l’espace barrent l’horizon S’y substituent Horizontalité sans horizon jamais

Elles se penchent s’éloignent se rapprochent mais sans se confondre Enchevêtrement patient Chronophotographique

Dépouillées de leurs feuilles Quand la chute ? – L’enfant les leur a tendues en vain. Quelques-unes, vidées de leur substance, s’accrochent par habitude – folie aussi – Miment des bourgeons des insectes – grouillements – Se font passer pour des fleurs des oiseaux Aucun mouvement – juste une métamorphose qui n’engendre aucun geste Pantomime minérale

Comment font les arbres pour trouver leur chemin ? Leurs branches pénètrent l’espace, Zébrures griffures Paraphes Écritures hâtives Tracent des routes célestes Vertical vertige

Alors une fine résille se déploie en crinoline s’auréole s’élève et rejoint le ciel – Tout presque 

Âme des arbres Personne ici pour parler à leur pureté confondante

Juste un regard qui l’a saisie

À partir du livret éponyme des photographies de Géraldine Dubois – 2022 – Zinzinules éditions

Rangement

Le rangement, c’est quand le temps rencontre l’espace Le temps immense qui s’étire et s’élance en vagues successives et ça fait des gerbes d’écume Je la recueille à pleins bras MAIS ÇA RENTRE PAS DANS LES BOITES non, ça rentre pas Au début tu en trouves des boîtes Elles veulent bien s’aligner les unes à côté des autres et même ça fait joli Oui Et puis tu peux ajouter des étagères et puis bon un peu les boîtes sous les lits sous les canapés Mais c’est après que ça se complique Quand tu te dis ça rentre plus Cette boîte, là Choc Violence du choc Le rangement, c’est quand le temps heurte l’espace Cherche à y inscrire ses traces Rangement Range Ment Faire semblant qu’il ne s’est rien passé, rien du tout, que ça comptait pour du beurre Faire croire que tout est au carré, classé, mort Alors que tout est en ébullition Je mens quand je range Je meurs aussi Lutte lutte pour que ça rentre Jette jette Les piles s’écroulent Jette jette encore A la benne à la benne Faut que ça parte Qu’est-ce que ça fait encore là Tu vois pas tout ça Tu vois pas Regarde mais regarde

Moi je rêve que tout rentre même ma collection de Télérama depuis le premier numéro et ça s’entasse et ça me tient chaud […]

Extrait de Rangement in « GPS et autres pièces sonores » 2023 Gros-textes

Le vert des citrons

Je buvais mon café dans la véranda, contre le citronnier que nous avions mis à l’abri pour l’hiver. Me parvenait du saule proche le chant d’un oiseau, que je reconnaissais sans arriver à l’identifier toutefois. « Pourtant oui, cet oiseau je le connais, je l’ai déjà entendu, je connais ce chant » et, tournant la tête j’ai perçu – niché dans mon écharpe de laine contre ma joue – le parfum d’Hélène, une amie de vingt ans – comme elle me l’a rappelé en riant après m’avoir serrée dans ses bras – cela, joint au vert des citrons en train de mûrir, au picotement de leurs feuilles contre mon bras nu et au goût profond du café si longtemps attendu, oui, toutes ces sensations se sont mêlées, superposées, comme autant d’événements peuvent se mêler pour créer de la durée dans ce que l’on appelle – si justement en théorie mais en l’occurrence si improprement – l’im-parfait puisque ce moment précis s’approchait de la perfection …

« Tiens, je ne suis pas allé relever le courrier » dit mon conjoint se levant soudain…

Et moi de lui répondre, après un silence qui commençait à devenir trop long « reviens vite ! »

Livre d’artiste, Gravures de Marc Granier – 2021 – Editions Les Monteils

Il pleut debout !

Il pleut debout ! pensées diurnes, pensées nocturnes – 2023 – Atelier du Hanneton pp 46-47

Yve Bressande, Fractions d’infini, Jacques André éditeur, 2015.

L’avertissement du livre sonne comme un art poétique que nul poète ne saurait dénier : « Et lisser, ajuster, retailler, malaxer, pétrir, intervertir, laisser monter, années après années. Combien d’années ? Onze, douze, un siècle peut-être, la mémoire défaille. »

Chaque poème, ainsi que l’auteur l’annonce, est une maison avec le seuil de la porte de devant et le seuil de la porte de derrière, entre il y a les pièces, chacune aussi dissemblable de l’autre que les chambres de Hauteville House.

D’un mot titre à l’autre, car on entre et on sort à chaque page, le poème est tendu entre. Ce sont cordes qui ne se touchent pas.

Si on les suit, on y trouve des joyaux « Lave-toi dans l’univers coloré des aurores », des pépites « Tend la main à l’ange qu’il se fêle », des éclairs « Bruit de septante-sept mille galaxies / Qui nous protègent des orages du présent », des révélations « C’est toujours de l’herbe qui pousse entre les pavés », des pensées « Le désir du poème c’est comme inventer un tiers / Quelqu’un qui chercherait sa vie dans les cafés », des inquiétudes « Le plafond s’enroule en spirales », des révoltes « Retour sur tes pas  sans tes pas  pieds / Et toi rom qui es-tu / Qui êtes-vous gens du voyage », des stupéfactions /« Ce sera le blanc que l’humain explorera / Le bleu gardera ses lèvres humides / Le vent n’a pas la force de bouger les chaînes »…

« Parler seul n’est pas dire une absence / La solution est de s’y dissoudre »

Mais que signifient ces fractions d’infini, car chaque fraction est à la dimension du tout, « Sous le marteau la fraction d’infini /Qui dans ses voyages / Portera une plaine sans limite » ?

Le poète n’utilise pas les mathématiques pour tenter de sauver le monde « Faire le compte de ce qui reste / Bêtise   absurdité sans limite / À quoi bon puisqu’il faudra recommencer »

D’ailleurs le poète a une idée à propos des commencements « Une grosse bagnole bringuebalante tourne au coin de le rue / Et c’est ainsi que ça a commencé ».

Voici, brièvement, un parcours de lecture d’un livre d’un poète sans limite. Un poète qui n’a cessé d’écrire et de dire. À lire et à entendre !

« Ne pouvant faire qu’elle s’érige dans la parole

  À fond de cale  immensément

   La colère est venue

   Thoracique

   Omniprésente  cage  ventre […]

Georges Chich

Pierre Vieuguet

Né en 1951 à Paris, il a vécu jusqu’en 1976 à Saint-Denis (93), la ville où est né Paul Eluard, puis en Isère près de Grenoble, à Saint-Martin-d’Hères de 1976 à 1980 et Gières de 1981 à 2006. Il vit aujourd’hui à Vinay, ancien pays de vignes, aujourd’hui pays de la noix.

Conservateur des bibliothèques et du patrimoine à Saint-Martin-d’Hères jusqu’en 2011, il a dirigé de nombreuses publications et recherches en histoire en particulier sur l’immigration.

A dirigé depuis sa création en 1985 et jusqu’en 2011, la Maison de la poésie Rhône-Alpes, deuxième maison de la poésie en France. A organisé dans ce cadre des rencontres avec les poètes, un festival de poésie, des ateliers de création, des expositions, une collaboration régulière avec les peintres…

Aujourd’hui coprésident de la Maison de la poésie Rhône-Alpes, il dirige et anime, depuis 1992,  la revue de poésie Bacchanales.

Pierre Vieuguet en lecture

Il a publié :

– en 1988,  L’oratorio pour trois gavroches, musique d’Eric Doucet, joué en 1988 à Saint-Martin-d’Hères, sous la direction de Stéphane Cardon de l’orchestre de Grenoble et à Bègles et Pessac, sous la direction d’Eliane Lavail de l’orchestre de Bordeaux devant plus de 6000 personnes ;

– avec les peintres Bernard Larcher et Guerryam,  les livres d’artistes :  Turbo poésie et Tuffeau et tourbe en 1991 aux éditions Karedys ;

– avec le peintre Chantal Legendre : Ballades d’automne en 2000 aux éditions Les Îles en feuilles et Protis à Prague et Tissages de vie en 2001 aux éditions les Îles en feuilles ;

– avec le peintre palestinien Kamal Boullata, le livre d’artistes Chemins en 2002 ;

avec le peintre Anne-Laure Héritier-Blanc les livres d’artistes,  Levée du fleuve en 2004  et  Présences en 2005.

De nombreux textes en revues et anthologies dont en français et en corse dans Bonanova

N° 22 en 2009 : Tessaturi di vita Scala , Prisenzi

– en 2019, mis en musique et interprêté par Photis Ionatos : Incantations. CD Edition Φ, Bruxelles

Quelques textes de Pierre Vieuguet :

Tissages de vie

Tuffeau  et tourbe

Levé tôt le matin

il entrouvre en silence

la pièce du bas froide

contre la cave

silence de craie

Elle pose sur la table

trois tasses

porcelaine

assiettes en terre

deux verres cerclés de rouge

Il tire de ses mains raides

l’eau glacée et la nuit de puisard

Elle lie à l’abaissée du jour

entre ses mains des fleurs

saveurs précises dans les allées

régulières du jardin

Oubli des guerres pour eux

Fragrances volubiles

Elle met avant le jour

quand la maison sommeille

chemise bleue pour lui

pot de fer émaillé

eau de pluie en ses mots

A l’approche du ciel

passé bien des chemins

s’incisent dans la roche

coupelles d’éphémères

replis pour les oiseaux

des mousses bleues

y soufflent

un vent de pluie

Des navires cuirassés

croisent au large d’Ouessant

silhouettes acier

lentes dans la brume

ombres sur les maisons basses

agrippées à la tourbe

Des femmes ici

redressent chaque jour

des murs de pierres noircies

pour inverser les vents

Souffle le vent des mots

des paroles indécises

le vent des choses

Souffle la caresse

les yeux

le sable

Souffle les gestes

les gens ensemble

rigueurs colère

Sur la place carrée

Au bas des arbres

Souffle

respire contre le vent

goulées de bruine froide

lente respiration debout

Tissages de vie

Chemins

Chemin bleu

vagues nuées sur le val

Chemin blond

cailloux grèves boutons d’or

Chemin de nuit

gorge frisson de peau qui tremble

Chemin de croix blanches et noires

de coupoles d’églises aux quatre vents

Chemin de ton souffle

de ton sang tout chaud

Chemin portes et seuils

tissus ajourés voiles et porcelaine

entre  ombre et lumière

Chemins perdus détours

ton pas qui se retrouve

Sept chemins de sources

Des sourires et des matins de lune

Tissages de vie

Échelle

Échelle du temps

du soleil inversé

reulons des jours

Patience du ciel en toi

stridence des étoiles

dans la nuit qui parle

Tu fais de toi-même

ton élan ton repos

Échelle des combats des murs

Les femmes hurlent et chantent

à détruire les prisons

Tes mains se ferment et s’ouvrent

Tes yeux accordent

Ton pas s’assure et danse

à gravir dans les pierres

le mont qui voit le fleuve et la mer dans les sables

Présences

Écrire

Comme un remous dans l’eau

Comme une feuille de l’hiver

que l’on froisse

du bout des doigts dans la terre

Agenouillée

sur la pierre blanche

au dessus de l’eau

Tout vient comme

un oubli du temps

Aux aguets

tout à son éveil

il élucide les milles tours de l’eau

Ce qui s’inverse hésite

adouci l’arrête des rochers

Alphabet du torrent

long dévidoir de signes

vapeurs des remous

frissons au coin des lèvres

Marchant sans fin

dans le silence

rien  ne s’imagine

que le ciel et la mer

Comme l’eau dorlote tes joues

la pluie désaltère le sable

Repoussées de la main

les pétales et les roses

la vasque d’eau

est miroir des nuages

Les chemins de la ville

sont couverts de poussière

L’eau étale bouge

Les gens passent

versent leurs regards

Chacun attend l’autre

et se connaît à peine

la coupelle attend l’eau

qui épousera son contour

L’enfant tient déjà dans ses mains

le visage et les larmes

de celle qui rêve

d’être enfin réunie

Entrées dans la maison

la porte refermée

l’eau de la fontaine

Converse avec la pluie

                                                        Poème écrit dans le cadre de « Poète à deux têtes »                                                         pour Susana Licheri  et Marie-Christine Rey Août 2005

Parole pour la paix

Pas à pas

tu suis le fleuve

tourne le paysage

la nuit efface le chemin

Son regard

ses mots dans ton cou

la laine qu’elle a mise sur tes épaules

la nuit efface le chemin

Tu hésites

pas une lueur

tout est silence

la nuit efface le chemin

Qui est celui qui veille

au delà des monts

rien ne peut se reconnaître

la nuit efface le chemin

Ni l’arbre

Ni l’ornière

Ni la borne séculaire

la nuit efface le chemin

Levée du fleuve

Elle passage

verres et paroles fragiles

mots affirmés

au cœur des nuages

Elle diaphane

une ombre

Cri rouge

dans le chemin

Elle instant d’avant

sable noir

mousse verte

appel sur le clocher

Elle régulière

dans les sillons

seule sur le talus

bruyant d’oiseaux

Elle mains dans la neige

mitaine à la barrière

descend

vers le fleuve

Elle aronde

courbée dans son élan

à boire

l’air du matin

Elle amoureuse

à reprendre

ses pas sur les berges

au bord de l’eau

Elle figure

ailes tournantes

seule dans la plaine

à s’amuser du vent

Elle mousse

accrochée au rivage

à guetter les remous

et tous les tours de l’eau

Elle lampion

de verdure

à ourler

le lent passage du fleuve

Elle silencieuse

lusaude

brin de laine

caillou serré dans sa poche

Elle circulaire

ravaude

à l’orée du bois

son chemin

Oratorio pour trois gavroches

Romance

Dis-nous la chanson d’un village

ouvrons la porte des blessures

derrière des tours châteaux gardés

des mains liées privées de rêves

une rivière couleurs étranges

frise lumière roseaux noirs sous le vent

l’enfant regarde son pays

Dies Irae

Pays debout

Brisons les tours

Nous voulons des terres

et pas des prisons

Romance Bara

Bara parti loin du village

Colère en lui sourire aux lèvres

pour conjurer toute misère

Donner des biens pendre des terres

Ne craindre rien ne pas mourir

et s’arrêter aux genêts des chemins

Contre eux l’armée toute en guenilles

criait sermon faites la guerre

Serf et seigneur pour le Destin

Gardez châteaux dentelles des maîtres

Viala tenant le bord de l’eau

pour qu’il ne passe la Durance

et qu’un jour son rire te découvre

Viala

Il habitait la rue et courait sous les porches

Des enfants avec lui se moquaient des palais

Il n’avait pas douze ans quand il quitta sa ville

et remonta le cours d’une rivière sauvage

Il faisait doux pourtant et les odeurs du soir

apportaient un message de feuillage d’argent

et de fruits délaissés qui passent les saisons

Ils arrivaient du sud

Rien ne devait changer

Ils ont tiré soudain

le voyant résolu

Il oublia le soir

Les moments de tendresse

Un museau dans son cou

et ce lapin debout qui guettait l’horizon

Stendhal

Grimpé debout

sur une chaise haute

curieux rieur

le nez penché

sur le jardin

J’aperçois des enfants

Noirs et sales

en habits de parade

et tous ces bruits ces coups

ces moments de gaieté

Il regarde sa ville

il voudrait y aller

n’aime pas les tyrans

et se cache à leurs yeux

pour mieux les oublier

Les clubs jacobins

appellent les enfants

sous les arbres un espoir

Écoute ce libraire

en tissus de couleur

sa voix est un écho

à la forêt des livres

Viens chanter avec nous

et jouer avec d’autres

Décidons tous ensemble

un monde merveilleux

Romance

Dis-nous la chanson d’un village

Écris nous les mots d’une histoire

où des enfants dans chaque pays

échangent souvenirs et rêves

Leurs désirs ont passé le temps

Leurs volontés et leurs jeux interdits

Des yeux s’amusent à nous parler

Final

Au-delà d’un jardin d’un regard sur la ville

Tout là-bas vers le sud où  s’arrêtent les terres

des enfants blancs et noirs ont mêlé leurs sourires

et leurs cheveux au vent

Dans la ville du Cap des inconnus se parlent

Les sons des mots s’enchaînent pour ouvrir des visages

Bâtissons des raisons apprenons la patience

des falaises polies par le chemin de l’eau

Échangeons des galets pour faire des paysages

Nous passerons les bornes oubliant les frontières

Nous jouerons la Salsa sur les flûtes de pan

Nous rangerons les armes dans les musées souvenirs

Les peintres sortiront dans chaque rue des villes

Les ailes des oiseaux emporteront nos rêves

nos vols amicaux au souffle des étoiles

et les maisons des gens s’habilleront de lumière

Tu verras dans ses yeux les dentelles d’un monde

où des enfants heureux apprivoisent la vie

Marilyne Bertoncini

Biographie

Enseignante, poète et traductrice (français, italien), codirectrice de la revue numérique Recours au  Poème, à laquelle elle participe depuis 2012, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, collaboratrice des revues Poésie/Première et la revue italienne  Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, elle, anime à Nice des rencontres littéraires mensuelles consacrées à la poésie, Les Jeudis des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com.

Titulaire d’un doctorat sur l’oeuvre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’Isis, de la Femme dans l’oeuvre de Jean Giono,  a été membre du comité de rédaction de la  revue littéraire RSH « Revue des Sciences Humaines »,  Université de Lille III,  et publié de nombreux essais et articles dans diverses revues universitaires et littéraires françaises et internationales : American Book Review, (New-York), Littératures (Université de Toulouse), Bulletin Jean Giono, Recherches, Cahiers Pédagogiques… mais aussi Europe, Arpa, La Cause Littéraire…

Un temps vice-présidente de l’association I Fioretti, chargée de la promotion des manifestations culturelles de la Résidence d’écrivains du  Monastère de Saorge, (Alpes-Maritimes), a monté des spectacles poétiques avec la classe de jazz du  conservatoire et la mairie de Menton dans le cadre du Printemps des Poètes, invité dans ses classes de nombreux auteurs et éditeurs (Barry Wallenstein, Michael Glück…), organisé des ateliers de calligraphie et d’écriture (travaux publiés dans Poetry in Performance NYC University) ,

Ses poèmes (dont certains ont été traduits et publiés dans une dizaine de langues)  en recueils ou dans des anthologies se trouvent aussi en ligne et dans diverses revues, et elle a elle-même traduit et présenté des auteurs du monde entier.

Parallèlement à l’écriture, elle s’intéresse à la photographie, et collabore avec des artistes, plasticiens et musiciens.

Marilyne Bertoncini

Sites :

minotaur/A :  http://minotaura.unblog.fr, jeudidesmots.com,

chaine youtube : https://youtube.com/user/mabepinice

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publications récentes :


Il Libro di Sabbia, Bertoni ed. (à paraître, septembre 2022)

-Aub’ombre/Alb’ombra, (bilingue) photos de Florence Daudé, éd. PVST ? 2022

– La Plume d’Ange, peintures d’Emily Walcker, éd. Chemins de plume, Nice, mai  2022

– XXL..S, ed. L’Atelier du Grand Tétras (avril 2022)

-Son Corps d’ombre, avec des collages de Ghislaine Lejard, éd. Zinzoline, mai 2021

-La Noyée d’Onagawa, éd. Jacques André, février 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021)

-Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019 (NISIP, édition bilingue français-roumain, traduction de Sonia Elvireanu, éd. Ars Longa, 2019)

-Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (premio A.S.A.S 2021 – associazione siciliana arte e scienza)

-Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novembre 2018

-L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

-Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

-La Dernière Œuvre de Phidias, suivi de L’Invention de l’absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

-Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

-La dernière œuvre de Phidias –  453ème Encres vives, avril 2016

-Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

Ouvrages collectifs

– Mots de paiX et d’espérance, textes choisis par Marilyne Bertoncini, ed. Oxybia (à paraître)

– Ephéméride, feuilles détachées, une anthologie, textes choisis par Marilyne Bertoncini, Franck Berthoux et Patrick Joquel, ed. PVST ? 2022 – dont préface

Antologia Parma, Omaggio in versi, Bertoni ed. 2021

– Mains, avec Christine Durif-Bruckert, Daniel Régnier-Roux et les photos de Pascal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021

Re-Cervo, in Transes, ouvrage collectif sous la direction de Christine Durif-Bruckert, éd. Classiques Garnier, 2021

-Je dis désirS, textes rassemblés par Marilyne Bertoncini et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021

Voix de femmes, éd. Plimay, 2020

Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

– Sidérer le silence,  anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

– L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » – à paraître, novembre 2018

– L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

– Anthologie du haïku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aléas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

– Aujourd’hui j’embrasse un arbre, de Giovanna Iorio, éd. Imprévues, juillet 2021

Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021

Un Instant d’éternité, Nello Spazio d’un istante, Anne-Marie Zucchelli (traduction en italien) éd ; PVST, octobre 2020

Labirinto delle Notti (inedito – nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019)

– Tony’s blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d’Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020

Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure,  éditions Imprévues, 2018

Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

Livre des sept vies , Ming Di,  Recours au Poème éditions, 2015

Histoire de Famille,  Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac,  juin 2015

Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

– Tony’s Blues de Barry Wallenstein,  Recours au Poème éditions, 2014

Livres d’artistes (extraits)

Ecrire, c’est résister, ouvrage collectif sur les collages de Ghislaine Lejard, 2022

La Petite Rose de rien, avec les peintures d’Isolde Wavrin, « Bande d’artiste », Germain Roesch ed.

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d’Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d’étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)  –

vidéos visibles sur les chaînes YouTube personnelle

ou des revues Recours au poème et jeudidesmots

Aub’ombre/Alb’ombra, lecture-performance et chant avec Constantin Vialle, Nantua, 9 juillet 2022

La Noyée d’Onagawa, lecture-performance – musique avec la violonniste Sophie Allain – festival Journées Poët-Poêt mars 2022 – journées de parole d’Aiglun, août 2020

Damnation Memoriae, la Damnation de l’oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée pour la première fois le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l’ambassade de Roumanie, à Paris.

– Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depardieu, Nice.

–  L’Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

 – Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces et 4ème de couverture

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l’eau, d’Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

Soleil hésitant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021

Un Souffle de vie, de Claudine Ross, ed . Prolégomènes, 2021

Je dis désirs, anthologie,  Pourquoi viens-tu si tard ?, 2021

Ephéméride, feuilles détachées ; anthologie Pourquoi viens-tu si tard ?, 2022

Le Rire de la mouche, Jacques Merceron, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? 2022

Quelques texte de Marilyne Bertoncini :

Le Poète-cormoran

à Tristan Cabral

« Toutes les âmes sont parties de l’âme de l’univers,

et tous les êtres à la fin ne sont qu’un »

Giordano Bruno,

Le Banquet de cendres

Poète cormoran dans les prairies du ciel où s’inverse la mer

corps-mort d’un navire-mémoire trop lourd pour rejoindre l’estran

à jamais l’Étranger – l’innommé – et pourtant mon jumeau

de sable

avec son âme d’eau

partageant un même océan

et ses dunes sans fin comme des vagues blondes

Les ongles des sirènes y sont des os de seiche

Le vent rasant la plage y fait crisser

mille abeilles de silice piquant mes yeux rougis

où se double la mer au rideau  trouble de mes cils

Sur l’arête des dunes, les bouquets d’immortelles

se cabrent et les brusques rafales

secouent leurs cheveux secs –

elles pleurent de  leur voix de sistre

L’haleine du vent ourle les vaporeux sommets

qui  sont des pétales géants

retenant un  soleil mouillé

dans le cœur de leur fleur.

Dans mon sang coule encore le froid ciment des dalles

des blockhaus

tombeaux de sirènes échouées

mortes d’avoir aimé des marins interdits.

Triste, depuis toujours je chemine avec toi

car nous suivons un même fil

qui se mêle à d’autres pas –

blessures dans le sable mouillé

Le sentier dans les dunes se couvre de rocailles

et de ruines écroulées où trombe le vent nu

et je me trompe de souvenirs dans la ruche de ma mémoire

Mes lauriers-roses

ton rosier noir

Écrire au fond n’est que construire

une chambre d’échos –

creuser avec toi le tunnel

de ta chambre à la mer

surmonter les naufrages de naissance

La mer est un enfer dont la voix est captée

par les antennes des oyats

et la chaîne des mots dit la chaîne des morts

qui nous retient avec son encre –

corps-mort – corps mourant.

Marilyne Bertoncini, pour les partages de parole d’Aiglun, 21 août 2020.

SIDÉRATION

Un éclat d’étoile m’était entré dans l’œil : On ne parcourt pas sans risque les prairies du ciel.

Et cet éclat crissait de mille sons diaprés sur le fond insonore de ma nuit où il dessinait des buissons de comètes mouvantes comme des posidonies translucides et phosphorescentes dans l’eau claire du demi-sommeil.

La lumière crépitait au cistre de cigales et, dans le souvenir, se mêlait à l’ondulante brume de chaleur qui trouble et double la longue silhouette des pins flottant comme toi dans l’eau de ton sommeil – zébrures parfumées et sonores des arbres à térébinthe dans le soleil de la nuit.

Tu avances – tu flottes-glisses vers la lumière intérieure – elle est douce et palpable comme le pétale d’un drap frais – elle t’attire et t’enveloppe d’une vague claire et palpitante mais, tu sais qu’il faudra traverser la grande nuit qui éteint tout pour l’atteindre – enfin – tout au bout du long voyage.

Il semble que tu dérives en flottant sur les eaux de la nuit. Tu pénètres l’anneau couleur lilas de la madone fluorescente qui protégeait ton fragile sommeil d’enfant : elle t’enveloppe désormais de sa mandorle fluide, son manteau de lumière est mouvante méduse dans le courant du rêve. Elle a la forme de ton œil où pétille l’éclat d’étoile.

Paupières encore closes, tu te demandes si ton globe renversé est blanc comme celui des statues. L’éclat sidéral diffuse à présent dans mes veines le froid métal du matin et les prairies du ciel s’éloignent lentement avec le pépiement des premières mésanges.

Ne pas ouvrir les yeux blessés qui brûlent encore d’une braise d’étoile.