Goléador
Je rôde où je règne: dans la surface qui demeure
mon jardin (ce fut écrit) à l’affût je menace: les coups
que l’on joue à fond sont rares, affaires de flair
mais je pèse autour du point des seize mètres je tourne
comme autour de son piquet la mule dont je possède la
frappe (aussi ce fut écrit) je donne le change on
m’observe je trottine en paraissant courir je ne
m’épuiserai pas en courses vaines mais je démarre
pour faire peur dans l’espoir qu’il m’accroche
et je m’effondre aussitôt méchamment le nez dans
le gazon j’aime qu’il ait confiance en lui qu’il
me dédaigne les chiens à qui l’on confie ma garde
courent de plus en plus vite jonglent frappent les deux
pieds des athlètes qui me bousculent je prends
le temps de me relever je râle il suffirait
qu’il vaguement prenne pitié sur trois foulées
un drible un crochet le cuir il ne le reverra plus
en attendant je touche mes protège-tibia j’a-
baisse les chaussettes sur les mollets tétanisés il
finira par se lasser c’est mon pari je m’essouffle
mais comme personne je maîtrise le temps je connais
la patience l’humilité de l’obscur artisan et zone
à la limite du hors-jeu où en douce vous me poussez
je serai là encore pourtant au coup de sifflet: aurai
la force de lever les bras avec les jeunots de l’équipe
de chanter comme un homme sous la douche.