Estelle Fenzy, Poèmes western, éditions LansKine, 2018.

On pourrait croire qu’Estelle Fenzy a fait le voyage dans l’ouest américain et qu’elle en a rapporté ces Poèmes western. Sauf qu’elle n’a jamais fait le voyage. Son voyage à elle est un voyage imaginaire, un rêve de voyage peut-être, inspiré par les photographies de Bernard Plossu, dont l’une d’elles orne la première de couverture.

Le road-trip commence à Provincetown : « A l’extrémité de Cape Cod la baie de Provincetown ouvre un livre vierge. Cousu d’horizon», pour s’achever au bord de l’océan : « Il n’y a pas plus à l’ouest. C’est le bout du voyage ».

D’immenses lieux vides. Une nature très présente — ciel, terre, canyon, désert — belle et souvent hostile — neige, vent, brouillard, poussière. Des villes : Santa Fe, Denver, Los Angeles, « Las Vegas. Eblouissante. Nuit et jour ». Beaucoup de silence, beaucoup d’absence. « Qui a terrassé cette fuite d’asphalte. Cette ligne sans retour.  Cette engouffrée du regard». Une partie des poèmes laisse deviner la  présence humaine par les traces qu’elle a pu déposer dans le paysage : carcasse de voiture, linge sur un fil, route, motel, pompe à essence, cimetière indien.  Une autre partie lui fait une place plus importante : personnages aperçus de loin, esquissés pour la plupart, sauf quelques portraits rapidement brossés à grands traits comme celui de Susannah Gun.  Mais partout une attention soutenue portée à la vie lorsqu’elle est présente : «  A l’aube, les chiens de rue tournent sans fin dans la ville déserte », « A Seboyeta, un enfant vit sous la terre »,  « elles baissent sur les banquettes leurs paupières qui piquent. Tabac froid ».

Chacun des 58 poèmes en prose du recueil  est une étape du voyage, un tableau. Les poèmes commencent souvent par une indication de lieu, suivie d’une description courte — quelques phrases au plus —, une description qui n’est pas l’énumération d’un décor, mais une évocation saisissante à partir de quelques détails choisis.  L’œil en éveil, la poétesse se fait peintre et quelques touches suffisent alors à faire surgir le paysage, comme on ferait surgir un portrait. « Le brouillard recroqueville la terre », « Le Desert Motel est un cube levé à même la piste »,  « Ocre jaune, à perte de vue l’océan-poussière. Lointain courbé ». Se dressent alors sous les yeux du lecteur des tableaux du paysage états-unien qui ressortissent parfois à son histoire ou à ses mythes.

L’écriture est concise. Souvent l’évocation naît à partir de phrases nominales.  Présence de la poétesse dans l’énonciation: « On plisse les yeux », «  Peut-être que quelqu’un a pu l’aider ». Dans ce qui ressemble à un journal de bord, l’observation donne naissance à d’autres images. Des comparaisons : « Comme un troupeau de bêtes agonisantes. Sur les flancs, le toit. Portières ouvertes, capots béants », « Sous un ciel d’écume. Lourd, vaporeux, comme une hanche de Rubens», « A l’humidité. Entrée dans le corps comme un sommeil ». Des personnifications : « Les pompes à essence attendent. Patientes sous les néons. », « Les décisions du vent ».

Zabriskie point.

D’ici on voit la mort de loin.

Plissé nu de terre stérile. De douleurs longues. De fourmis argentées.

Un endroit où il n’y a plus rien à prouver.

Une rêverie se crée autour de l’espace. Des correspondances fines s’établissent entre les grands espaces et les hommes. Estelle Fenzy nous livre alors une pensée, parfois quelque chose d’intime, sentiment, sensation, qui entre en relation avec le paysage : « On ne comprend pas mais tout est là », « Comme elle est belle sa solitude ». Parfois une réflexion d’ordre plus général propose un  élargissement : « Ici, seul le désert est en expansion », « Il y a toujours un côté qui mène au rêve et l’autre à la nuit » ou bien   une évocation de la condition humaine. « Cacher son visage humain. Espérer l’accueil. », « Lourds d’un amour qui souvent fait défaut. / Ici. Partout. » Il en ressort un sentiment de compassion pour la fragilité de l’existence humaine.

Enfin la dernière notation forme souvent comme une petite clausule, refermant le poème sur lui-même, faisant de chaque poème un objet ciselé qui concourt à la beauté du recueil, édité chez LansKine.

Barbara Le Moëne

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