Christine Durif-Bruckert

Christine Durif-Bruckert, est enseignante-chercheure en psychologie sociale et en anthropologie à l’Université Lyon 2, et conférencière. Elle écrit de la poésie et contribue à la revue Recours au Poème.

Outre la diffusion d’un grand nombre d’articles dans des revues scientifiques nationales et internationales, elle publie des essais dont Une fabuleuse machine, Anthropologie des savoirs ordinaires sur les fonctions physiologiques, en 1994 chez Anne-Marie Métailié (réédité aux Éditions l’œil Neuf en 2009), La nourriture et nous. Corps imaginaire et normes sociales édité par Armand Colin en 2007, Expériences anorexiques, Récits de soi, récits de soin en 2017 aux Éditions Armand Colin. En 2021, elle coordonne l’ouvrage collectif Transes aux éditions Classiques Garnier.

Christine Durif-Bruckert

En poésie, elle publie entre autres aux Éditions du Petit Véhicule, sur des photographies de Pascal Durif, Arbre au vent (2018), le Corps des pierres (2019), puis Mains en coll. avec Marilyne Bertoncini et Daniel Régnier-Roux (2021). Chez Jacques André Éditeur, elle publie Langues en 2018, Les Silencieuses en 2020 et l’anthologie Le courage des Vivants qu’elle coordonne avec Alain Crozier . En 2021, elle publie Courbet, l’origine d’un monde, aux Éditions invenit, collection Ekphrasis, ainsi qu’un monologue poétique Elle avale les levers du soleil, aux Éditions PhB.. 

Parallèlement, elle poursuit des publications dans diverses revues de poésie, ainsi que des anthologies. Sur cette année 2021, elle a participé aux anthologies suivantes : Dire oui, Janvier 2021 et Rencontrer (Novembre 2021), Terre à ciel (Florence Saint Roch), Je dis DésirS, Jaume Saïs, PVST (2021), Voix Vives 2021, Préface de Maïthé Vallès-Bled, Éditions Bruno Doucey.

Son site est : http://christinedurif-bruckert.com

Quelques uns des textes de Christine Durif-Bruckert

L’amour éperdu

L’amour éperdu

épuise le désir

dérange le silence des fleurs

les paysages d’oiseaux.

L’amour est le poids de tes nuits

épure la gravité de tes plaies

fait monter l’aube dans les branches de l’âme.

La nuit humide se tient debout sous le vent

La pluie

a fait des mares d’eau si abondantes

que tout a failli prendre une allure de désastre

Je t’attendais dans la pâleur d’un matin saugrenu.

On avait chanté

les mélodies de notre affranchissement.

Et pourtant nos yeux se cherchaient.

Minutieusement

j’ai décrit ton visage dans un espace incertain.

J’ai fléchi à tes inconstances douceâtres

l’insatisfait résonnait dans nos pauvres carapaces

d’oiseaux blêmis.

Nos mains s’entretenaient en une danse infinie.

L’orage avait tout juste fini de s’effondrer autour de nous.

Langues, Jacques André éditeur, 2018

Une pluie

sur le sol

tendre

et palpite

tes paupières

lisses

dans l’œil

ta voix

rauque

appelle

le temps.

La gravité

de la lumière

échancre

les parcelles de terre

crevasses tombales

main de chaux

ma peau

leçon de pierre

menace de la pluie

qui bruine

écriture morte

dans les râles du jour

qui brouille.

La poésie traverse les terres froides

se réchauffe aux fumets de l’humus

fabrique les mots errants

légers comme la neige

lorsque s’ouvre ta bouche

et qu’éclate ton désir

à la surface des frissons de pierre.

La poésie coule

dans les pores de la terre mouillée

là où commence le silence.

Audaces intrépides

qui délogent les peurs agrippées

au linceul de tes yeux.

Tu ris.

Tu ris dans la franchise de tes ivresses 

au bord du précipice

de tes matins brouillés

où chancellent

à peine

les premières lueurs du printemps.

Noircir

le trait de ton corps

épaissir la figure de tes émois.

Les oiseaux

tournent

chantent

dans le creux

de ta bouche

tracent

le tour de tes lèvres

endroit sensible

du vacarme de tes désirs.

Tu es la terre

sans toi l’histoire se tait

le tonnerre

étouffe ses grondements

tu avales la misère.

Loin

tes yeux

dernier savoir de l’innocence

loin derrière tes branches.

Plus rien ne sort de ta bouche

l’amour a pris feu

tes mains se croisent

sur ce qui brûle encore

les soupières sont chaudes

fument

l’haleine brunit les vitres

dehors est loin

bien au-delà de ton absence

tes soupirs

dedans brûle la terre

de ses terreurs enfermées

de ses morts réveillés

à peine endormis.

Le dedans de soi

au plus loin d’en soi

le dedans d’ici

s’est arrêté de parler

le dedans fait rouler

ses lourdes pierres.

La vie s’éloigne

tu la cherches

elle est déjà loin

là-bas dans les montagnes

rougies par le vent

le battement d’aile des étourneaux.

Je la cherche dans tes yeux

mes os craquent

broyés d’un coup d’aile.

Pour te retrouver

je marcherai longtemps

au cœur des forêts

je me perdrai

sur des sentiers sans vie

pourchassée

par des eaux troubles.

Les eaux sont toujours troubles

lorsque le froid étreint l’air

et ouvre les paupières du sol.

Le corps des pierres, Les éditions du petit véhicule, 2019 

Brûlure

vent chaud

tourner autour de l’immensité

des grandes vasques

une porte bat se bat contre le vent

bruit de la porte emporté

dans le vent

 hostile

des ouragans

brise le temps

écorche les rocs

la matière volante transporte

les bruits

il claque le vent lorsqu’il traverse le monde

ose la direction de l’oubli

claquent les portes dans la nuit

comme des encoches dans les langues

souffrent le silence

mes mains se dénouent

font un tour tournent le vide

se mouillent à l’orage

et repoussent le temps

la porte tape contre le vent

Inédit

Le silence est entier
la solitude accomplie.

Un silence qui me délivre de ma propre langue.

La mélancolie du jour
retient le temps qui passe
tient prisonnier ce qui fait la vie ici

une lande immense
insolente
peuplée de retours.

Solitude
d’avoir mis le nez dans ce tableau
d’être entrée dans un monde si prodigieux

l’imminence d’une révélation qui ne se produit

que dans l’annonce de ses interruptions

comme un paysage dont les formes changeraient brutalement.

Un centre
perdu de vue
jamais effacé
toujours revient
revient au foyer
à l’endroit du présent
aux aguets de ce qu’il reconnaît
peut-être au-delà de ce que l’esprit peut comprendre.

L’étoffe tressaille encore au souvenir du banquet

nappe blanche
convulsions, froissements charnus

l’ensoleillement de l’heure des siestes.

Les étoiles feront de beaux dessins sous la voute du monde.

Faudrait-il apprendre l’image par cœur au risque que ses coupures ne deviennent

essoufflement
et finissent par oppresser.
Laisser la peau se remplir encore un peu

des secrets d’un réel
qui se refuse à jamais ?

Les images
jamais ne donneront tout ce qu’elles ont à dire

nous abandonnant juste à l’orée du pénétrable.

Brisures
marges qui précèdent le sensible
ce sont là les vrais deuils du regard
ils m’ont poursuivie, me poursuivent comme des songes.

Je m’adosse à l’épaisseur rocheuse du tableau
à sa solidité aveugle.
L’image agit en moi, me parle, me fait divaguer vers ce qui déborde de part en part de l’évidente

visibilité.

Chute
de ce qui soulève nos cœurs
et ne peut parvenir jusque dans les mots

si ce n’est par ces instants lumineux

fugaces et éphémères
moteurs du désir
racines des poèmes.
Mon âme nue
sous le jour pressant
nue sous la lumière.
L’instant, ailleurs

j’ai dépassé les vertiges
la dureté des falaises
les gémissements du vent dans les fractures du temps et les plus grands orages
pour cet abîme-là
pour ce corps consumé.
Le face à face avec le soleil
brûle la rétine
brûle la vision.
La figure rutile, ruisselle
à l’extrême du regard
éclate de ses contradictions.
Saturation.

La lumière se retourne une dernière fois pour ne pas disparaître trop vite dans le réalisme des peaux tendues.

La solitude des peaux tendues

Qui peut raconter cela, dire la trahison d’une si haute joie ?

Serait-ce là l’origine ?
Cette splendeur à peine naissante que je viens juste

de perdre.

Regarder le ciel.

Courbet, l’origine d’un monde , Editions invenit, 2022

Tout en haut

des déserts de neige à couper le souffle

plus loin le calme

quelques ondes de sable.

Le tableau rayonne de ses propres reflets

tient le secret

se dévoile, à peine, au risque de se perdre dans ce que nous ne voyons pas.

Il me met à l’écart

d’un seul trait, ouaté de neige.

La lumière dans mes yeux

Vient-elle du soleil ?

Je sens l’herbe ensoleillée

une légère odeur de brûlé

venu d’un bas de ciel, rougi

bas dans le ciel

tu brilles

ruisselant brûlant

de fleurs et de pierres

le bitume blanchi

qui blanchit la lumière

dans le profond miroir des eaux du monde.

le grand vent des passions

d’où vient-il ?

de ces horizons délabrées

où s’endorment les voix

et les plaisanteries rondes

heurtées au

tissu impénétrable des pierres.

Paysages raturés

Et ce trait qui trace l’horizon

ligne imaginaire sans nom ?

ligne des éclairs,  de l’étirement des étoiles

que me veut

ce vide

tout ce vide qui ne parle pas ?

serait-ce le silence 

qui s’épaissit

devant mes pas ?

Un nuage de silence.

Ne cherche pas les réponses du côté du désir

lui-même ne sait pas d’où il vient.

……

Les Neiges sont bleues

neiges d’automne

teinte bleue éblouie

vague muette du vent

étoffe sensible

amour du ciel

et

moment du surgissement

lorsque mon regard croise le monde, le frôle et le perd.

Les rêves montent

dans la saveur de souffles obliques.

Une présence

m’éprouve

me convainc

et me prive

s’attarde.

Les ombres d’éclats

de quelques tâches

accrochent la clarté  blanche des commencements

et les formes élémentaires de la lumière.

Un moment hors du temps

qui charrie le temps

Neiges bleues, sur un tableau du peintre Jean Imhoff, Lyon (peint en 2020), anthologie Rencontrer, coordonnée par Florence Saint Roch

https://www.facebook.com/christine.durif

Christian Viguié

Aux Éditions Rougerie

     Petites Écritures, 1996.

     Économie d’un paysage, 1999.

     La dure lumière,  2001. (Prix Antonin Artaud 2003, prix du jury des           

     lecteurs de Rodez 2003).

     Juste le provisoire,  2004.

     Cheminements Passages,  2007.

     Autres choses 2010

    Commencements 2013

    Limites (dessins d’Olivier Orus) 2016

   Damages approche graphique de Olivier Orus, mai 2020 (Prix Mallarmé 2021), aux éditions Le bruit des autres

Poésie:   

    Le carnet de la roue,  1999.

Théâtre:

     Pour les oiseaux ou les fous  ou les derniers jours du Caravage , 2001.

     Nuits d’été, 2012

Récit:

     Le jardin, 2001.

Roman:

     Un homme inutile,  2002.

     Le vieux Maître, 2003.

Nouvelles:

     Guerres sur fond bleu, 2006.

Essais:

    Partis pris I : Lettres à René Pons, 2009.

Partis pris II: Poésie et politique, 2009.

    Partis pris III: Esthétiques, 2010.

Entretien:

    René Rougerie, une résistance souveraine (livre accompagné d’un DVD) 2010.

Christian Viguié

Chez d’autres éditeurs

Romans, récits, nouvelles

    Des rois dans les arbres, roman (éd. Le mot fou) 2010.

    Comme un chemin, récit (éd.Circa 1924)  2006.

   Baptiste l’idiot, roman (éd. Le mot fou) 2014  Prix Murat 2015 (Italie)

   Passé décomposé, roman policier (éd. Le geste noir) 2015

   Traverser la nuit, nouvelles avec Franck Bouysse (éd.Page et plume/Rougerie) 2020

   La naissance des anges, roman (éd. Les monédières ) 2020

Poésie:

    L’âge est de rompre (éd. Europe)  prix étudiant de la jeune poésie 1986

     Paysage dans la neige (éd. L’Arbre à paroles) 1996

     Fables (éd. L’Arrière-pays) 1996

     Le livre des transparences et des petites insoumissions (éd. Le dé bleu) prix Max-Pol    

     Fouchet 1997

     Biographies (éd. Tarabuste) 1996, prix Emile Snyder 1993

    Contre-chant, images de Jacques Hemery (éd. Propos ) 2003

     Des oiseaux (éd. Le cadran ligne 2009)

    Outre mesure (éd. Dernier Télégramme 2013 ) dessins d’Olivier Orus

   Route(s) (éd.Mars-A) 2021 dessins d’Olivier Orus

Fusain (éd. La Cadran Ligné)2021

Ballade du vent et du roseau (éd. La Table Ronde) 2022

Divers:

      L’éternité chavirée – scénario de Christian Viguié, histoire originale de Jean-Charles

      Wolfarth

      Les dits devants, CD avec Bernard Noël, Serge Pey… (Ciam)

Livres d’artiste:

      Le jardin des mots, (éd.Ivan Sigg) 1989

      De près ou de loin,  avec Alain Campos (Galerie Horloge, Paris 1991)

      Livre Hop-scène  (éd. Ivan Sigg) 1992

      Roulottes (èd. Les petits classiques du grand pirate) 1993

      Un crochet de l’air (éd. Ivan Sigg) 1994

     Moments (éd. Alain Gimeno, Impromptu n°7) 2014

     Possible indéfiniment (éd. La Regondie 2012) peinture de Philippe Delessert

     Brouillard (éditions de la Regondie 2020) Peintures de Catherine Aerts

Entretien :

    Conjonction d’insubordination (entretiens avec Laurent Albarracin et Laurent Doucet) (éd.      

    La passe du vent 2018)

Quelques textes de C. Viguié :

Il n’y a pas besoin de métaphysique
pour voir ce que je vois
Il suffit d’ouvrir une fenêtre
de regarder le pommier
au milieu du pré
de se dire simplement que l’univers
accouche d’un nouveau silence
et accueille la rondeur d’une pomme
 
Ainsi devant moi
tombent la rougeur d’un silence
le soleil d’un silence
quelque chose qu’il faut ajouter ou ôter
pour que tombe une pomme
 
se dresse un arbre
qui n’a ni besoin de mots
ni d’idées
ni de la couleur chatoyante de l’automne
 
Pourtant tombe une pomme
et qu’en tombant
une vérité apparaît
et une autre s’annule
entre ce qui est
et ce qui n’est plus
entre ce qui pourrait advenir
afin de préserver
l’extraordinaire banalité du monde.
 

 
 
Les mots
que tu saisis au creux de ta main
sont aussi lourds que des pierres
Ils te demandent de les reposer
ou de les jeter loin
toujours plus loin
comme des virgules d’oiseaux
avec leurs promesses de silence
 
Après tout
leur fonction est de tomber
de n’indiquer aucun chemin
mais de borner le néant
pareils à des dieux ensommeillés
 
Ainsi tu peux viser un arbre
un ciel
le rouge froissé d’un soleil
ou celui d’un coquelicot
n’importe quel nom perdu
 
tomberont toujours les mots
avec le même étonnement
la même fatalité
que les feuilles ou les pierres.

François Charvet

40 ans

Études de lettres modernes.

Vit dans la région lyonnaise.

Publications :

  • Il bleu du puits, éditions Chloé des lys, 2011
  • D’esquifs en bouquets de sable, éditions l’Harmattan, 2013
  • Par quel ressac, éditions Les solicendristes, 2014
  • L’eau la langue, éditions Raphael de Surtis, 2016
  • Foyers de paille, éditions Raphael de Surtis, 2016
  • Miroirs en échos, éditions Le Réalgar, 2019
  • Portrait à la table, éditions Raphael de Surtis, 2022

Des publications dans des revues dont Verso, Traction Brabant, Voix d’encre, Les hommes sans épaules…

Quelques textes de François Charvet

Pourquoi sa solitude plutôt qu’une autre.

Ce flocon déposé sur la foule

place Bellecour

le temps de fondre sur ma langue

mes regards qu’elle ne rencontre pas une seule fois,

comme en sursis dans l’entre-nous tous

inconnus

agglutinés

et ne sachant qu’attendre de la nuit qui s’immisce

de la grande roue éclairée

et de cette rumeur que draine la sortie des bureaux.

Pourquoi sa quarantaine.

Sa taille moyenne 

et ses talons appliqués.

Ses cheveux conformes.

Veste et pantalons à se mêler aux trottoirs

et le plus possible

ne pas éveiller de reflets aux vitrines.

Mais elle ne porte pas la tête basse.

Et si ses yeux semblent fouiller le sol

devant elle

à une juste mesure de ses pieds

ils ne m’apparaissent pas fuyants

mais d’une ligne précieuse

enclose

d’un écart léger qu’elle s’octroie ;

absente

en elle-même dans cet ailleurs si familier

intraduisible

comme inconsciente de ce qui la frôle ;

d’une musique d’elle seule audible ;

son magnétisme 

et l’espace qu’elle repousse.

Je me demande pourquoi elle s’est arrêtée devant l’attraction

elle qui semble ne pas la voir.

Et pourquoi repartir.

Ma sensation de vivre une personne rare,

l’incarnation de chair

d’un personnage de Modiano.

D’un dernier coup d’œil qui ne la retrouve pas

rendue à son passé d’encre trouble

et à son absence de destin.

Aux vents d’une vie privée d’héroïne.

Des mots qui ne mordent que leur soif d’indicible

et de romans aux figures indistinctes.

Sa recherche d’une respiration

altière

perdue dans les solitudes de son trésor. 

(extrait de Miroirs en échos, le Réalgar éditions 2019 )

Rien de particulier.

Rien à dire de particulier.

Des gens passent à côté de moi

et il est impossible de dire

celui qui se retournera pour m’embrasser

ou celui qui me donnera un coup de fusil.

Cela est très banal.

Les journaux sont remplis de morts qui ce matin même

comme moi

s’étaient levés en vie.

Il n’y a pas de raisons cachées.

En général,

les gens ne sont pas responsables de leur mort

et encore moins de leurs amours.

La plupart du temps,

je songe que Dieu

dans sa grande force de persuasion

a fini par user tous ses arguments ;

et que la poésie

dernier bastion

pourrait bien demain être à la une,

comme la jeune fille que l’on a retrouvé morte

hier soir

devant chez moi,

cette jeune fille qui ne se trouvait rien de particulier

mais qui brillait dans tous les regards

sans que jamais ils n’osent lui dire un seul mot.

(extrait de Portait à la table éditions Raphaël de Surtis 2022 )

                                                                        §

Les mots qui se voudraient

et qui restent en deçà des mots

qui se disent,

comme un sillage

me préservent dans l’écume

le sens de la traversée.      

(extrait de Etats des mots recueil inédit 2022 )

Hélène Sanguinetti

Hélène Sanguinetti, née à Marseille, passe sa jeunesse dans la fréquentation continue de la mer, de la poésie et de la peinture. Professeur de Lettres, chargée de mission pour la poésie en Lorraine, elle revient en 1990 en Provence où des liens déterminants (René Char, Salah Stétié) la confortent définitivement dans une écriture restée jusque-là confidentielle.

En 1999, Yves di Manno, directeur de la collection Poésie/Flammarion, publie son premier livre, De la main gauche, exploratrice.

Son œuvre est traduite et publiée notamment aux États-Unis et en Allemagne.

Elle participe à plusieurs anthologies, festivals, entretiens en France et à l’étranger.

Très attirée par les recherches visuelles et sonores, par le chant, les rythmes, elle aime risquer le poème avec d’autres expressions artistiques et l’incarner en direct en public par la voix et le corps. Elle maintient aussi, entre son travail de la terre, fascination ancienne, et celui de son écriture, un dialogue primordial à l’origine sans doute du peuple dont ses livres sont parcourus.

Elle vit en Arles.

Bibliographie sélective :

  • D’ici, de ce berceau, Flammarion, 2003
  • Hence this craddle,traduction d’Ann Cefola, Otis Books, USA, 2007
  • Le Héros, Flammarion, 2008
  • The Hero, traduction d’Ann Cefola, Chax Press, USA, 2018
  • (Une pie)Publie.net, 2009
  • Toi, tu ne vieillis plus, tu regardes la montagnePublie.net, 2009
  • Et voici la chanson, L’Amandier, 2012
  • Alparegho, Pareil-à-rien, L’Amandier, 2015 (1e édition, L’Act Mem, 2005)
  • Domaine des englués (suivi de 6 réponses à Jean-Baptiste Para), La Lettre volée, 2017

Dernières publications :

  • Livre :  Et voici la chanson, Lurlure, octobre 2021 (réédition)
  • Revue : « Jadis, Poïena (une poème) » in sprung rhythm,  Monologue, décembre 2021

              « Petites publications à, » in Catastrophes, n°26, octobre 2020

  • Entretien : « la faim, la joie » entretien mené par Guillaume Condello, « La vie en prose », Catastrophes n°26, octobre 2020
  • Anthologie : Achter-bahn / le grand 8, Wallstein et Le Castor Astral, décembre 2017.
Hélène Sanguinetti

Quelques textes d’Hélène Sanguinetti

(extrait de Et voici la chanson, Lurlure, 2021, p.45-46)

JOUG 3

Il est 18h 35

dans la cabane

aucune nouvelle

le ciel est gris il y a du vent un peu de vent

ciel gris bleuté une mouche grésille contre

la lampe le ventilateur de

la mûrisserie fait un bruit d’enfer

Il est 18h 39 d’aucune nouvelle

18h 40

de Corbeau

un-peu-de-vent

ce-n’est-pas-une-mouche-

insecte-long-ailé-pas-beau-pas-exprès

le ventilateur fait

beaucoup de bruit

pas beaucoup

mais trop

9h 21 il pleut quelques

gouttes sur la cabane

elle sent

ciel gris avec du vent un peu

le même

9h 23-Balancement

des feuillages

loin Afrique ?

non pas loin, pas très, croyait

avion c’était oiseau 16h 39

c’était

avion tornade de jardin

légitime

Aux

Paupières du

soldat – dort à l’envers dans le métro

Au

riche cœur écrasé sur la vitrine – une Mouche

Danseuse-Mouche-de coin collante et revient

sur le soldat met ses Lunettes Sales

de travers

Quel désespoir est entré depuis !

la roche avec bave poils crocs

LÂCHEZ  LES  CHIENS

LÂCHEZ  LES  CHIENS

LÂCHEZ  LES  CHIENS

LÂCHEZ  LES  CHIENS

Ne pas cesser mordre

poids, tout. Muscles, des Tas.

Hurlaient. Hurlements.

Animaux8.

8 : danseurs aussi parfois            

TEXTE 2

(extrait de « Chant de Vieil-Amour enrubanné » in Domaine des englués, La Lettre volée, 2017, p.133-137)

4 │

Vieil-Amour veut

que poitrine n’étouffe pas

que langue se soulève

pas pourrir

sortir frais!

5 │

Ne mourra pas

Rajeunira

Ne le croit pas

S’envolera

où est Mandrake

de temps infans

du bras géant touche

nuage s’accroche

au vent

Or la terre ce jour-là avait

tremblé, une vague terriblement

percé le rocher, quel bruit de

gouffre vorace, brrrree  brrrree

le lustre a bougé,

dans la salle à manger

le plancher, tous les meubles,

dansaient un peu

Passer sur le pont

devint souvenir

comme le reste

Je ferme le torchon, plaintes,

peines à l’intérieur, caché

dans le placard l’argent

d’une semaine et sa bague

de fiançailles si je pouvais

la retrouver enfouie

dans la farine

Se sauver Piquer des deux

quelques verstes, bonjour Bataille,

Père bonjour, quelques verstes

plus loin une rencontre capitale

avec l’histoire, leur folle sœur,

et tous Fils, les Rusés : de la nuit –

du dessous – Sainte Pute fils de

le sien, le préféré, plus que maigre

sous tablier, Souliers vernis

® Souvenir comme le reste

6│

Ne pas mourir

ne, Veut, pas, mourir

mourir mais vif

ainsi courir se dérater

du couru Et transpire tombe

au pied d’un arbre marronnier

en fleurs de sa vie,

Harmonie tue –

équilibre tue

repos tue,

oh oh  nerfs,

6  muscles, tendons de

chameau éventré sur le bord,

mais, gazelle, par, chance, enfuie,

capsule plus qu’humaine,

tympan, marteau, époux de coude,

de front, iris conjugué, conquis

Sortez de vos caissons !

7│

STOP. Veux sortir

frémir couiner gogoter

dulciner  passer les bras

plaquer le très grand frisé

hop la montagne

de l’autre côté

embarquer sur ton derrière

oiseau, à califourchon,

planter mes griffes, ah,

ne, pas, tomber,

Merci à Hospitalité légendaire

du conte, à

Hospitalité légendaire des

plumés chanteurs, à

Hospitalité légendaire de la

promenade au ciel,

allons !

Anna Ayanoglou, Le fil des traversées, Gallimard, 2019.

  Ce premier recueil d’Anna Ayanoglou  a reçu le prix Révélation Poésie. Née en 1985,française aux origines complexes, la Vendée par sa mère, la Grèce orientale par son père ; études de russe, puis quelques années dans les pays baltes. Réside à Bruxelles, enseigne le français, anime une émission sur la poésie sur Radio Panik.

  Je découvre ce recueil au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, or les frontières baltes sont limitrophes de la Russie, de la Biélorussie, de la Pologne. Le danger d’annexion par la Russie de Poutine pèse lourd. Lituanie, Lettonie, Estonie se souviennent qu’elles ont été soviétiques pendant 50 ans, n’accédant qu’en 1991 à l’indépendance. Je lis le recueil avec cet arrière-plan historique et émotionnel.

  Certes, AnnaAyanoglou  n’aborde pas de front cette histoire, mais son expérience du monde balte en est imprégnée. La marque de l’occupation soviétique émerge dans certains poèmes. Ainsi de L’ennemi familier, à l’occasion d’une fête, la langue russe réapparaît ; ainsi du Faubourg nu :

    un bloc de béton noir / puant la ligne stalinienne/ baignait dans sa menace suspendue

  Le fil des traversées, un titre émouvant, j’allais dire fragile, fil d’Ariane de la jeune femme dans un univers qui l’accueille et l’étonne. Les notations sur les différences culturelles entre son pays, la France , et la Lituanie ou la Lettonie, à petites touches, dénotent son affection pour les gens :

    Le sourire, dents en moins, du vendeur de patates/ ce qu’il y a dedans d’humanité ou de défi / – aux halles de Vilnius, si chacun te ravit/ c’est que chacun porte son âme à l’extérieur.

   La construction de l’ouvrage, claire, aérée, nous dépeint une découverte, des sensations, tant extérieures qu’intérieures. Appel, le prologue, enclenche une dynamique du départ, une faim d’aventure :

     et je veux voir, devenir l’étrangère

     et être toute à l’étranger

     jamais je ne construirai

    là où je me suis assemblée

 Nous suivrons la traversée sur 3 parties, Un refuge infini,

Le temps renversé, Ici est mort.

 Un refuge infini dépeint une déambulation, un certain nomadisme avec une alternance de rudesse, de douceur, de beauté :

    La ville se tisse – jamais

    elle ne te sera maternelle

     jamais elle ne sera définitive

 Surprise de certains contrastes, voir le poème Saut :

     Dans l’arche, l’icône de la Vierge

     Règne d’or sur le noir de l’oubli

        (…)

     jusqu’aux tours soviétiques au bout de la trouée

  Dans le poème Les possibles :

       Entre espoirs et toquades

       tu savoures, dans l’avant, l’intensité

       du lieu inéprouvé.

Vers le solstice  rend fortement une ambiance :

  ce temps gagné sur tout et sur l’ennui surtout, tu découvrais   

les guitaristes, dans cette étrange Lituanie les hommes beaux     

étaient comme les fleurs, ils s‘ouvraient le printemps calé

    En 2ème partie Le temps renversé  chamboule la traversée  par des amours qui font imploser le voyage . Omniprésence du désir sous le regard curieux des habitants, persuadés que l’amour était la raison de l’exil de la jeune femme. Celle-ci ne peut échapper à la force du désir qui modifie le temps et les repères :

    puis l’allégresse est au combat, et ils sont beaux

      (…)

   et  quand ils rient les Estoniens, la nuit, tu entrevois les

                                                      (les paysages

  que le jour leur retenue voile

  Le poème Un amour simple introduit une surprise, il s’agit de la ferveur avec laquelle 5000 jeunes hommes chantent l’hymne national, l’amour de la patrie c’est vraiment l’amour d’une mère, loin de la goguenardise des Français ou des Belges.

  Le texte terminal de cette 2ème partie, Le temps renversé, chante à nouveau la beauté des hommes baltes :

   Il se tait – au croisement des halos

   Son regard, ce soleil insensé

   et le silence reprend son étrangeté.

   Nous terminons avec Ici est mort, la 3ème partie, sorte de chute dans le réel, comme une Impasse, Il faut partir – rentrer, la narratrice est écartelée, elle n’est plus de là-bas, et pour autant pas d’ici.

     A chaque inspiration tu frôles le goût du bois –

    laisse durer, ne rentre pas encore

     regagner la maison, c’est retrouver l’exil.

  Poème Le détachement :

   Et bientôt je retournerai au premier ailleurs

   au seuil de ma patrie

    terre de transit, dépourvue de tragique

    où il n’y a plus de citoyens –

     juste des passagers, juste des installés

      Et l’ultime poème Le fil des traversées :

          Simplement que je dois prendre place dans le bus qui s’en va

          (…)

       que le bus, celui-là, trouvera mon chemin.

  En guise de conclusion,Anna Ayanoglou  parle de Fille-frontière, cette métaphore condense le trajet sinueux de la voyageuse, revient-on de plusieurs années dans un monde étranger ?

Quelle patrie nous attend ? La frontière est ce fil  aux découvertes fondatrices. Fil géographique autant qu’historique, à savoir effacé, rafistolé, jamais tranquille ; une mémoire alourdie par les invasions sans pitié. 

  En 2022, chez Gallimard, paraît le deuxième recueil d’Anna Ayanoglou, Sensations du combat.

                                                      Geneviève Vidal