Christine Durif-Bruckert, est enseignante-chercheure en psychologie sociale et en anthropologie à l’Université Lyon 2, et conférencière. Elle écrit de la poésie et contribue à la revue Recours au Poème.
Outre la diffusion d’un grand nombre d’articles dans des revues scientifiques nationales et internationales, elle publie des essais dont Une fabuleuse machine, Anthropologie des savoirs ordinaires sur les fonctions physiologiques, en 1994 chez Anne-Marie Métailié (réédité aux Éditions l’œil Neuf en 2009), La nourriture et nous. Corps imaginaire et normes sociales édité par Armand Colin en 2007, Expériences anorexiques, Récits de soi, récits de soin en 2017 aux Éditions Armand Colin. En 2021, elle coordonne l’ouvrage collectif Transes aux éditions Classiques Garnier.
En poésie, elle publie entre autres aux Éditions du Petit Véhicule, sur des photographies de Pascal Durif, Arbre au vent (2018), le Corps des pierres (2019), puis Mains en coll. avec Marilyne Bertoncini et Daniel Régnier-Roux (2021). Chez Jacques André Éditeur, elle publie Langues en 2018, Les Silencieuses en 2020 et l’anthologie Le courage des Vivants qu’elle coordonne avec Alain Crozier . En 2021, elle publie Courbet, l’origine d’un monde, aux Éditions invenit, collection Ekphrasis, ainsi qu’un monologue poétique Elle avale les levers du soleil, aux Éditions PhB..
Parallèlement, elle poursuit des publications dans diverses revues de poésie, ainsi que des anthologies. Sur cette année 2021, elle a participé aux anthologies suivantes : Dire oui, Janvier 2021 et Rencontrer (Novembre 2021), Terre à ciel (Florence Saint Roch), Je dis DésirS, Jaume Saïs, PVST (2021), Voix Vives 2021, Préface de Maïthé Vallès-Bled, Éditions Bruno Doucey.
Son site est : http://christinedurif-bruckert.com
Quelques uns des textes de Christine Durif-Bruckert
L’amour éperdu
L’amour éperdu
épuise le désir
dérange le silence des fleurs
les paysages d’oiseaux.
L’amour est le poids de tes nuits
épure la gravité de tes plaies
fait monter l’aube dans les branches de l’âme.
La nuit humide se tient debout sous le vent
La pluie
a fait des mares d’eau si abondantes
que tout a failli prendre une allure de désastre
Je t’attendais dans la pâleur d’un matin saugrenu.
On avait chanté
les mélodies de notre affranchissement.
Et pourtant nos yeux se cherchaient.
Minutieusement
j’ai décrit ton visage dans un espace incertain.
J’ai fléchi à tes inconstances douceâtres
l’insatisfait résonnait dans nos pauvres carapaces
d’oiseaux blêmis.
Nos mains s’entretenaient en une danse infinie.
L’orage avait tout juste fini de s’effondrer autour de nous.
Langues, Jacques André éditeur, 2018
Une pluie
sur le sol
tendre
et palpite
tes paupières
lisses
dans l’œil
ta voix
rauque
appelle
le temps.
La gravité
de la lumière
échancre
les parcelles de terre
crevasses tombales
main de chaux
ma peau
leçon de pierre
menace de la pluie
qui bruine
écriture morte
dans les râles du jour
qui brouille.
La poésie traverse les terres froides
se réchauffe aux fumets de l’humus
fabrique les mots errants
légers comme la neige
lorsque s’ouvre ta bouche
et qu’éclate ton désir
à la surface des frissons de pierre.
La poésie coule
dans les pores de la terre mouillée
là où commence le silence.
Audaces intrépides
qui délogent les peurs agrippées
au linceul de tes yeux.
Tu ris.
Tu ris dans la franchise de tes ivresses
au bord du précipice
de tes matins brouillés
où chancellent
à peine
les premières lueurs du printemps.
Noircir
le trait de ton corps
épaissir la figure de tes émois.
Les oiseaux
tournent
chantent
dans le creux
de ta bouche
tracent
le tour de tes lèvres
endroit sensible
du vacarme de tes désirs.
Tu es la terre
sans toi l’histoire se tait
le tonnerre
étouffe ses grondements
tu avales la misère.
Loin
tes yeux
dernier savoir de l’innocence
loin derrière tes branches.
Plus rien ne sort de ta bouche
l’amour a pris feu
tes mains se croisent
sur ce qui brûle encore
les soupières sont chaudes
fument
l’haleine brunit les vitres
dehors est loin
bien au-delà de ton absence
tes soupirs
dedans brûle la terre
de ses terreurs enfermées
de ses morts réveillés
à peine endormis.
Le dedans de soi
au plus loin d’en soi
le dedans d’ici
s’est arrêté de parler
le dedans fait rouler
ses lourdes pierres.
La vie s’éloigne
tu la cherches
elle est déjà loin
là-bas dans les montagnes
rougies par le vent
le battement d’aile des étourneaux.
Je la cherche dans tes yeux
mes os craquent
broyés d’un coup d’aile.
Pour te retrouver
je marcherai longtemps
au cœur des forêts
je me perdrai
sur des sentiers sans vie
pourchassée
par des eaux troubles.
Les eaux sont toujours troubles
lorsque le froid étreint l’air
et ouvre les paupières du sol.
Le corps des pierres, Les éditions du petit véhicule, 2019
Brûlure
vent chaud
tourner autour de l’immensité
des grandes vasques
une porte bat se bat contre le vent
bruit de la porte emporté
dans le vent
hostile
des ouragans
brise le temps
écorche les rocs
la matière volante transporte
les bruits
il claque le vent lorsqu’il traverse le monde
ose la direction de l’oubli
claquent les portes dans la nuit
comme des encoches dans les langues
souffrent le silence
mes mains se dénouent
font un tour tournent le vide
se mouillent à l’orage
et repoussent le temps
la porte tape contre le vent
Inédit
Le silence est entier
la solitude accomplie.
Un silence qui me délivre de ma propre langue.
La mélancolie du jour
retient le temps qui passe
tient prisonnier ce qui fait la vie ici
une lande immense
insolente
peuplée de retours.
Solitude
d’avoir mis le nez dans ce tableau
d’être entrée dans un monde si prodigieux
l’imminence d’une révélation qui ne se produit
que dans l’annonce de ses interruptions
comme un paysage dont les formes changeraient brutalement.
Un centre
perdu de vue
jamais effacé
toujours revient
revient au foyer
à l’endroit du présent
aux aguets de ce qu’il reconnaît
peut-être au-delà de ce que l’esprit peut comprendre.
L’étoffe tressaille encore au souvenir du banquet
nappe blanche
convulsions, froissements charnus
l’ensoleillement de l’heure des siestes.
Les étoiles feront de beaux dessins sous la voute du monde.
Faudrait-il apprendre l’image par cœur au risque que ses coupures ne deviennent
essoufflement
et finissent par oppresser.
Laisser la peau se remplir encore un peu
des secrets d’un réel
qui se refuse à jamais ?
Les images
jamais ne donneront tout ce qu’elles ont à dire
nous abandonnant juste à l’orée du pénétrable.
Brisures
marges qui précèdent le sensible
ce sont là les vrais deuils du regard
ils m’ont poursuivie, me poursuivent comme des songes.
Je m’adosse à l’épaisseur rocheuse du tableau
à sa solidité aveugle.
L’image agit en moi, me parle, me fait divaguer vers ce qui déborde de part en part de l’évidente
visibilité.
Chute
de ce qui soulève nos cœurs
et ne peut parvenir jusque dans les mots
si ce n’est par ces instants lumineux
fugaces et éphémères
moteurs du désir
racines des poèmes.
Mon âme nue
sous le jour pressant
nue sous la lumière.
L’instant, ailleurs
j’ai dépassé les vertiges
la dureté des falaises
les gémissements du vent dans les fractures du temps et les plus grands orages
pour cet abîme-là
pour ce corps consumé.
Le face à face avec le soleil
brûle la rétine
brûle la vision.
La figure rutile, ruisselle
à l’extrême du regard
éclate de ses contradictions.
Saturation.
La lumière se retourne une dernière fois pour ne pas disparaître trop vite dans le réalisme des peaux tendues.
La solitude des peaux tendues
Qui peut raconter cela, dire la trahison d’une si haute joie ?
Serait-ce là l’origine ?
Cette splendeur à peine naissante que je viens juste
de perdre.
Regarder le ciel.
Courbet, l’origine d’un monde , Editions invenit, 2022
Tout en haut
des déserts de neige à couper le souffle
plus loin le calme
quelques ondes de sable.
Le tableau rayonne de ses propres reflets
tient le secret
se dévoile, à peine, au risque de se perdre dans ce que nous ne voyons pas.
Il me met à l’écart
d’un seul trait, ouaté de neige.
La lumière dans mes yeux
Vient-elle du soleil ?
Je sens l’herbe ensoleillée
une légère odeur de brûlé
venu d’un bas de ciel, rougi
bas dans le ciel
tu brilles
ruisselant brûlant
de fleurs et de pierres
le bitume blanchi
qui blanchit la lumière
dans le profond miroir des eaux du monde.
le grand vent des passions
d’où vient-il ?
de ces horizons délabrées
où s’endorment les voix
et les plaisanteries rondes
heurtées au
tissu impénétrable des pierres.
Paysages raturés
Et ce trait qui trace l’horizon
ligne imaginaire sans nom ?
ligne des éclairs, de l’étirement des étoiles
que me veut
ce vide
tout ce vide qui ne parle pas ?
serait-ce le silence
qui s’épaissit
devant mes pas ?
Un nuage de silence.
Ne cherche pas les réponses du côté du désir
lui-même ne sait pas d’où il vient.
……
Les Neiges sont bleues
neiges d’automne
teinte bleue éblouie
vague muette du vent
étoffe sensible
amour du ciel
et
moment du surgissement
lorsque mon regard croise le monde, le frôle et le perd.
Les rêves montent
dans la saveur de souffles obliques.
Une présence
m’éprouve
me convainc
et me prive
s’attarde.
Les ombres d’éclats
de quelques tâches
accrochent la clarté blanche des commencements
et les formes élémentaires de la lumière.
Un moment hors du temps
qui charrie le temps
Neiges bleues, sur un tableau du peintre Jean Imhoff, Lyon (peint en 2020), anthologie Rencontrer, coordonnée par Florence Saint Roch