Je suis du silence
de ceux-là
qui traversent nos vies
sans laisser de traces,
de ceux qu’on a secourus,
alignés, comptés, accusés,
à qui l’on a donné
des vêtements chauds,
de l’espoir,
une tente dans la boue,
j’ai dans le sang leur nuit,
les frontières,
le racket, la torture, le viol
en attendant de passer,
je suis de même rive,
de même errance,
de même humiliation,
de même boue
que ceux qu’on insulte
et qu’on trie,
nous sommes de même voix,
de même amertume,
de même saccage,
leurs barreaux sont les miens,
leurs barbelés,
leurs corps maigres,
leur soif est ma soif,
je suis inlassablement
l’étranger
roué de coups à Calais,
qu’on a soigné,
remis sur pied
et qu’on raccompagne aux frontières,
je suis le corps
de ceux qu’on repêche,
dont l’image nous émeut
et qu’on enterre à la hâte,
je suis leur visage,
leur fatigue,
leur peur,
inexorablement,
et je porte leur nom.
Jean-Christophe Ribeyre
(poème extrait de Déboutés)