Textes de Michel Bret

Bras ouverts

 

Allonge-toi dans mon sommeil

Etends ta peine sur la mienne

Demain sera un jour nouveau

Le sang de tes mots ruisselle

Partage  tes consonnes à mes voyelles

De tes mots épris de soleil

Ta terre a sa noblesse sauvage

Un récif sur ton îlot  effeuillé

Tes bras comme des nacelles

Pour recueillir mes désirs

Qui dans tes mains me tiennent

Comme le frisson d’avenir

Quelle part  puis-je te donner

Moi qui te porte

Avec mes bras d’aveugle

Vers cette éternité

 

*

 

Traversé par une lumière

le marcheur aveuglé

demeure

sur les berges inassouvies

Veilleur immobile

oublie ton visage !

le sourire est l’habit

de tes fenêtres

Te murer dans le silence

pour ne point voir grimacer

ces monstres sacrés

 

*

A Manissa

Toi la Kabyle

Du pays où les larmes

fleurissent

Partage cette langue

frères des deux rives

Le dialogue qui sépare

ne choisit pas l’orage

c’est d’impuissance

que nous sommes complices

Les yeux bleus

Lavent tout l’or

de nos serments

de nos tempêtes

La voix des mots rongés

insaisissable avenir

comme chemins

à l’intérieur de nous même

Parler d’une seule main

Et reconstruire les mots

pour dire liberté

 

*

les pleurs auréolent

les mains tendues

sur le drap des douleurs

Le miroir reflète

une vieille chapelle

Un corps se ruine

comme on se penche

sur le labeur

Un cri de fierté

traverse les soupirs

Les larmes sont à l’intérieur

de la blessure

et la pierre

les recueille

sur le mouchoir qui sèche

 

Tiré de Les Epices de L’esprit, Cosmogone.

                                                                                            

 

Tu as arraché cette épine clouée dans la moelle de ton cœur.

Quand la bave des armes ne projetait pas son venin

sur la froide langue d’amour.

Et le  mauvais vin servi par la tristesse n’avait pas encore envahi le cœur noir des mots.

Même couché quand l’eau monte à la gorge.

Vers le soir comme un miroir brisé.

Alors que tu semais avec tes doigts d’aveugle le grain d’amour.

Assis au bord de tous ces regards, tu aimes à croire le monde simple.

Alors que de ce monde  simpliste, tu mesures le compliqué des regards.

 

*

 

La poulie du temps

descend

grinçant

dans le puits

incertain

de  la vie

 

*

 

Et le temps rouille !

Et passe le mouvement des jours

sur l’immobilité du temps.

 

*

 

Germination du silence

 

Oui,  tu as pris le bateau des soupirs.

Oh !   terre !

les heures ont été des jours

partir comme mourir

la valise de vie encore vide.

Et tu as laissé tant de choses derrière toi.

De ce pays lointain

les baisers ont une autre musique

dans l’abime qui te rongeait

Tu marches là-bas dans l’inconnu

La chape noire de soleil

et les pieds qui n’adhérent pas à la terre.

Ne t’attarde pas dans l’ornière,

Tes songes en ont encore la couleur

D’un habit militaire qui t’enserre et te broie

Peux-tu écrire ce passé ?

Un nœud coule dans le trou noir

De tes pensées

 

*

 

Le fleuve assoupi de tes veines

écoule sa vie comme le goutte à goutte.

En attente de sensation, le trou du temps perdu,

de gestes inaccomplis, interrompus sur le seuil.

La lumière n’a plus d’importance.

Errance dans le dénuement

habiter son propre lieu

est toujours un ailleurs

une absence d’origine.

Un autre lieu sépare l’homme de ses racines,

vivre et mourir en son rocher d’exil.

Une éloquence de deuil.

 

Tiré de Main d’amour et de haine, Cosmogone.

 

*

La ville

 

J’aime la ville sans horizon

le visage       tatoué d’illusion

jetant des regards

sur ces fruits de soleil

le corps que l’on frôle

la jambe nue   qui te devance

la nudité du corps

sous la robe

Les filles s’offrent

mouvements     d’abandon

les chaises         reçoivent

le déshabillé

parade pour le désir

d’une rue qui te traverse

de part en part

 

 

*

 

 

L’ivresse

 

La ville, n’est que la mathématique

d’un pré tiré à quatre épingles

L’ordre des rues

s’aligne en rangées morales

et le nom te rappelle

le glorieux ancêtre

Jouisseur numérique entends-tu ?

la danse pathétique

sur le béton d’ivresse ?

Une scie de débauche

torturée d’extase

façonne tendrement

une musique d’avidité

Malgré tout    on s’y cramponne,

les yeux fixés sur l’horizon

 

*

 

Le vernis

 

Ville  de rumeurs

Un projecteur désosse

Les liens et les plaies.

Tout brille !

Tu arpentes la ville

Au milieu des visages,

Des rumeurs, et d’éternels tumultes

Le décor lisse la boue des rues

Et un peu de miel flotte

Dans les eaux violentes.

D’où sors-tu

ville    tourmentée ?

La pluie fleurie précède

Le ciel larmoyant.

 

Tiré de L’irraisonnable sens, Cosmogone.